Contre le malthusianisme : la connaissance comme moteur de la richesse humaine
Récemment sur France Inter, Jean-Marc Jancovici nous a livré un beau moment d’écologie malthusianiste. Tour d'horizon.
Récemment sur France Inter, Jean-Marc Jancovici nous a livré un beau moment d’écologie malthusianiste.
“Dans un monde aux ressources finies, qu’on fasse des gadgets à la place des trucs essentiels, ça m’ennuie [...] L’IA est essentiellement promue par les 5% de la population qui n’ont pas de problèmes et qui sont les gagnants de la mondialisation mais pendant ce temps on ne s’occupe pas des problèmes des 90% de la population.”
Jancovici est un malthusien et les malthusiens se trompent toujours. Pourquoi ? Leurs modèles de prédiction prévoient des scénarios futurs qui reposent sur un postulat fondamentalement erroné. Ils ne comprennent tout d'abord pas l'importance de l'innovation et de la création de nouvelles connaissances dans l'économie. De plus, ils partent du principe erroné que le capital physique connu à un instant T restera inchangé et/ou suivra une courbe de croissance linéaire. L’économie et le monde ne sont pas des instantanés à partir desquels des modèles statistiques d’utilisation des ressources peuvent être établis, au contraire l’économie est un processus sans cesse changeant de découverte d’informations nouvelles permettant de maximiser l’utilisation des ressources dans l’économie.
Deux oublis fondamentaux qui maintiennent les malthusiens dans l'erreur depuis plus de 200 ans. Plus précisément depuis 1798 et la publication de “l'Essai sur le principe de population” de Thomas Malthus, qui prévoyait que la capacité de production alimentaire ne pourrait pas suivre la croissance démographique de son époque. Les malthusiens n'admettent pas que la richesse est avant tout un fait intellectuel émanant de la créativité, de la liberté et de l'ingéniosité humaines. Notre richesse n'est pas limitée par la rareté physique, uniquement parce que nous décidons d’en faire.
Essayons d’aller plus loin dans cette idée que le seul facteur limitant pour l’humain sont le temps et la connaissance plus que n’importe quelle quantité physique de ressource.
L'exemple des réserves de pétrole de J. Huerta de Soto
"La production n'est pas un fait physique naturel et externe, mais un phénomène intellectuel et spirituel." - J. Huerta de Soto, l'école autrichienne
Nous avions évoqué dans cette publication de l’exemple de la mine d’étain d’Hayek. Je vous propose ici un autre exemple venant expliquer comment la connaissance joue un rôle crucial. Dans son livre, l'École autrichienne, Jesus Huerta de Soto reprend cette idée essentielle du rôle de la connaissance dans le développement du marché en prenant pour exemple l’utilisation du pétrole. Si les réserves pétrolières semblent limitées, rares et finies le progrès qu’elles permettent ne l’est pas. Pourquoi ? Tout simplement parce que le potentiel humain n'est pas limité par les ressources matérielles physiques "des réserves de pétrole" mais par la connaissance, l’ingéniosité et la découverte de nouvelles manières d’utiliser cette ressource : ainsi, "la découverte d’un carburateur qui parviendrait à doubler l’efficience des moteurs à explosion, ayant le même effet économique que la duplication du total de réserves physiques de pétrole."
Tout le contraire des modèles néo-malthusiens pour qui seul le capital physique connu à un moment donné, et non la créativité et l’ingéniosité humaine, est pris en compte dans les modèles prédictifs. Sans surprise, ces “prophéties” se sont toujours trompées, car elle n’arrive pas à prendre en compte, ni même à considérer, que l’économie est avant tout un phénomène humain, profondément lié à l’homme, sa recherche continuelle d’une meilleure situation future, à sa créativité et à son ingéniosité. Cet oubli est normal, l’unicité de l’individu et son imprévisibilité ne peuvent pas être mathématisées et modélisées. Ne rentrant pas les tableurs de calcul, elles ne sont tout simplement pas prises en compte par les courants de pensée néoclassiques. En refusant l’individualisme méthodologique, l’économie moderne commet une erreur fondamentale disqualifiant l’ensemble de son modèle d’analyse des faits économiques.
En liant l’idée de croissance à des agrégats physiques et matériels, la macroéconomie, le malthusianisme et le socialisme s'éloignent toujours plus de ce qui forme pourtant la base de l’économie : l’individu agissant subjectivement dans son intérêt propre. Comme disait à raison Carl Menger, le père de l’économie dite autrichienne : “l'homme est toujours le début et la fin de tout processus économique." N’oublions pas cette phrase, celle-ci résume l’ensemble de la pensée de l’école autrichienne et explique brillamment la profonde différence entre les économistes libéraux classiques (autrichiens) et les économistes actuels néo-keynésiens.
L’entrepreneur, créateur et inventeur de l’information
Pour les économistes autrichiens, la production est un processus de création et de découverte et de diffusion de nouvelles connaissances issues de l'action entrepreneuriale. L’entrepreneur n’est pas qu’un simple organisateur et allocateur “moutonnier” de ressources (Keynes) ou une force destructrice et créatrice exogène au marché (Schumpeter). L’entrepreneur est un acteur endogène venant parfaire la structure du capital en faisant une utilisation efficace et profitable des biens intermédiaires et des ressources rares.
Pour des "néoautrichiens", comme Israel Kirzner, l'entrepreneur est quelqu'un qui, par son état d’alerte constant, contribue à réduire l'ignorance des autres sur les possibilités que leur offre le marché de mieux réaliser leurs aspirations par rapport à ce que leur capacité personnelle d'information et d'initiative serait susceptible de leur révéler. En somme, il est celui qui saisit une nouvelle opportunité et qui, parallèlement, fournit la connaissance de l’existence de cette opportunité aux autres agents économiques. Encore une fois, pour l’entrepreneur schumpétérien ou l’entrepreneur de Kirzner, la production et la richesse humaine semblent uniquement limitées par la connaissance et l’ingéniosité humaine à créer ou découvrir l’information, non pas par les limitations matérielles. De ce fait, il n'y a aucune limite à la richesse tant que le marché et ses acteurs restent libres d’entreprendre et se confronter eux-mêmes à la “rareté” du monde.
L’acte entrepreneurial consiste fondamentalement à créer et à transmettre une nouvelle information. Ce processus dynamique, que rien n’arrête, modifie nécessairement la perception générale d’objectifs et de moyens de tous les acteurs impliqués dans le marché. Ces réalignements quotidiens entre les objectifs et les moyens expliquent également pourquoi l’état d’équilibre du marché ne peut exister et pourquoi le fait économique à tout à voir avec l’information, bien plus que la simple allocation matérielle de ressources.
L’importance du coût d’opportunité dans l’allocation efficace des ressources rares
“L’acte entrepreneurial consiste fondamentalement à créer et à transmettre une nouvelle information qui doit modifier nécessairement la perception générale d’objectifs et de moyens de tous les acteurs impliqués dans la société.” - Jesus Huerta de Soto
Afin de comprendre pourquoi l’allocation de la rareté est avant tout un phénomène intellectuel et pourquoi la rareté n’est pas subie passivement par les acteurs économiques, il faut s’intéresser à la notion du coût d’opportunité et à la manière dont celui-ci fonctionne en économie.
Le coût d’opportunité représente la valeur des alternatives auxquelles on renonce en choisissant une option particulière. Autrement dit, il représente la valeur des usages alternatifs possibles des ressources utilisées pour produire un bien. Il s’applique dans nos choix individuels quotidiens, mais aussi dans le système de production dans son ensemble.
Les entreprises organisent leur production de façon à ce que le coût d’opportunité de leurs ressources ne dépasse pas le prix de marché du bien fini. Une ressource (ressources physiques, biens d’équipement, temps, travail…) peut en effet servir à plusieurs usages différents dans le système productif ; cependant, tous ces usages ne sont pas rentables en fonction du bien produit. Il faut également une “étoile directrice” (le signal-prix) pour aiguiller les entrepreneurs sur l’utilisation des ressources afin que le coût global de celles-ci reste inférieur au prix de vente final de leur produit. Cela permet d’utiliser les ressources là où elles sont les plus profitables pour la société, de ne pas les gaspiller et de ne pas les immobiliser inutilement dans des utilisations non productives.
Cette distribution des ressources reste avant tout un problème de communication et de connaissance, deux données qui sont condensées dans le prix. La connaissance est aussi toujours imparfaite, incomplète et en constante évolution. C’est une notion essentielle en économie : le coût d’opportunité est souvent plus facile à calculer a posteriori qu’à prédire au moment où l’on agit. C’est pour cette raison que toute action économique n’est que spéculation et que le temps et l’information jouent des rôles essentiels dans les choix économiques des individus. Le coût d’opportunité n’est pas seulement monétaire, mais aussi temporel. Les entrepreneurs doivent inclure l’incertitude inhérente au futur : un point que les modèles statiques d’équilibre néoclassiques ne prennent pas en compte, car ils ne comprennent pas que l’économie est un processus dynamique.
Le calcul des coûts à partir des prix est une manière efficace pour les entrepreneurs de minimiser l’impact de la rareté dans la production. Ils ne subissent donc pas passivement la rareté, ils maximisent sans cesse son utilisation afin de générer du profit. De ce fait, l’économie est bien un phénomène intellectuel.
La connaissance, le seul facteur limitant de l’humanité
“The only thing that’s holding us back is knowledge.” - Naval
Les faits naturels et les ressources physiques ne présentent donc aucun caractère limitatif pour l’homme. Les limites physiques existent, mais elles ne sont pas absolues : l’homme est avant tout limité par lui-même, ses idées, sa créativité, son ingéniosité et l’état actuel de ses connaissances. Comme le soulignent d’ailleurs de nombreux économistes autrichiens, ainsi que des penseurs comme Julian Simon, qui opposait le “génie humain” aux limites physiques, le processus économique est avant tout une question de création, de découverte et d’utilisation de l’information et de la connaissance dans le marché.
Les modèles malthusiens, en ignorant ces dynamiques, se condamnent perpétuellement à faire de fausses prédictions, des prédictions non seulement erronées, mais aussi des prédictions de malheur néfastes pour la société. Une vision réductrice de l’homme qu’on retrouve aussi avec les dérives quantitativistes et économétriques de l’économie moderne. Cette approche ne permet pas d’envisager l’économie autrement que sous l’angle de la gestion statistique d’agrégats de ressources sur le marché, qui doit nécessairement nier l’imprévisibilité et l’ingéniosité humaines afin de valider leurs modèles.
“Are we running out of wood? No. We can grow wood, we can grow unlimited trees. We can plant unlimited trees. So eventually, we might find a future civilization may be able to synthesize trees, maybe it’ll synthesize long-dead trees. So it is always a question of knowledge.” - Naval
Sans la créativité et l’ingéniosité humaines, nous subirions réellement la rareté du monde dans tout ce qu’elle a de précaire et de violent. Sans elles, nous resterions dans l’état initial qui nous a été donné par la nature, c’est-à-dire la pauvreté extrême, peu importe l’abondance ou la rareté des ressources qui nous entourent.
Il faut donc oser croire en la grandeur et en la valeur de chaque individu. C’est le préalable nécessaire à une approche véritablement libérale, humaniste et humble de l’économie. Une approche fondée sur le respect d’autrui, de sa vie, de sa liberté et de sa propriété.
Comme toujours, un plaisir de lire cet excellent travail !