Je vous propose de découvrir la théorie du capital des économistes autrichiens. Explorons les travaux d'Eugen von Böhm-Bawerk et l'exemple de Robinson Crusoé, le premier entrepreneur. Cette définition essentielle ne figure pas par ailleurs dans les autres écoles de pensée modernes, keynésianisme en tête.
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L’investissement dans ces étapes les plus éloignées de la consommation forment ce que l’économiste autrichien Eugen von Böhm-Bawerk appelait les détours de production (Runder Producktionsweg). Ce processus consiste à produire d’abord des biens d’équipement, aussi appelés biens capitaux ou bien intermédiaires, qui sont ensuite utilisés pour produire des biens de consommation. Cette méthode de production indirecte (Indirekte Produktion) prend plus de temps et est plus complexe, plus intensive en capital (Kapitalintensive Produktion), que la production directe, mais elle permet toujours d’augmenter la production et la productivité. Comme l’a d’ailleurs écrit Böhm-Bawerk : L’homme choisit des méthodes de production “détournées” qui nécessitent plus de temps, mais qui compensent ce retard en générant des produits plus nombreux et de meilleure qualité. L’action humaine est toujours tournée vers le futur et vers ce que Mises appelait “l’état de repos”, la privation de la consommation présente est toujours vue comme temporaire et transitoire vers une condition future plus satisfaisante. Au fil des années, des générations et des siècles, les investissements successifs dans la structure globale du capital permettent aux individus, les consommateurs, de bénéficier de meilleures conditions de vie.
Dans son livre “The Structure of Production”, l’économiste Mark Skousen estime que “Plus de 60 % des ressources productives disponibles, en dehors du secteur public, sont consacrées à la production de biens d’équipement, c’est-à-dire de biens futurs, par opposition aux biens de consommation, c’est-à-dire aux biens présents.” Au final, sur la totalité de la structure capitaliste d’une société, deux-tiers des facteurs rares de production (ressources, biens capitaux, travail…) ne sont pas consacrés directement à la consommation, mais au perfectionnement de la structure du capital qui servira systématiquement les intérêts des consommateurs en permettant la production de biens de consommation de meilleure qualité, en plus grande quantité et au meilleur prix.
Nous comprenons enfin que le capital n’est pas une notion homogène, comme le pensent naïvement les keynésiens. Ces derniers considèrent souvent le capital comme un agrégat relativement uniforme et peu subtil qui peut être mesuré et modélisé plus facilement dans leurs modèles macroéconomiques. Cette incompréhension de ce que représente le capital est d’ailleurs bien symbolisé dans l’importance qu’ils donnent au niveau global d’investissement plutôt que dans la structure détaillée du capital, pourtant seule donnée permettant de mesurer la véritable richesse d’une société.
Ce que nous apprennent les économistes autrichiens c’est, qu’au contraire, le capital est pluriel, différent et hétérogène. Le capital est un ensemble complexe et diversifié de biens de production, chacun ayant des caractéristiques uniques. Pour eux, le capital n’est pas une masse homogène qui peut être facilement redéployée ou agrégée, c’est une structure complexe qui prend du temps à se complexifier, à se perfectionner, à prendre des “détours de production” comme disait Eugène von Böhm-Bawerk.
Pour prendre l’exemple de la machine d’extraction de minerais, ce bien de production présent dans la structure du capital n’a pas l’équivalent d’un moissonneuse batteuse ni d’un porte conteneur maritime. Pourtant, tous ces biens participent à maximiser la production finale des biens de consommation.
La place de ces biens et leur agencement dans la structure du capital est permise par une figure centrale pour les économistes autrichiens, celle de l’entrepreneur. Celui-ci, acteur capable, perspicace et mieux informé que le reste des acteurs économiques, spécule sur la meilleure manière de servir le consommateur et contribue à organiser en conséquence la structure du capital. Cette action entrepreneuriale est essentielle pour comprendre comment émerge une économie, sur laquelle ensuite repose la civilisation entière.
Robinson Crusoé, le premier entrepreneur
Un exemple souvent cité par les économistes autrichiens, que nous avons également évoqué pendant le live, est celui de Robinson Crusoé. Il s’agit d’un exercice de pensée intéressant qui nous permet d’intégrer plusieurs notions clés en économie. Seul sur son île, Robinson se retrouve confronté à un enjeu assez simple : survivre. Son attention se porte tout naturellement vers son besoin le plus élémentaire et le plus pressant: se nourrir. Plusieurs choix s’offrent alors à lui : il peut s’adonner à la chasse, à la cueillette ou bien à la pêche. Il retient parmi ces options celle qui lui semble la plus judicieuse - récolter des noix de coco – et renonce simultanément aux autres.. Robinson passe la journée entière à récolter assez de noix pour se nourrir. Au fil du temps, il en vient à juger peu efficace cette méthode de subsistance. C’est alors qu’il envisage de confectionner un outil, disons une perche, afin de récolter ses noix de coco plus efficacement. Trouver cette perche, la couper, puis la tailler et l’écorcer représente un certain effort. De plus, ces tâches chronophages empiètent sur le temps qu’il consacrerait autrement à se nourrir. Il doit donc préalablement épargner du capital, des noix de coco dans le cas présent, afin de libérer le temps requis pour son entreprise. Voilà donc un sacrifice présent consenti dans l’optique d’une meilleure situation future.
Une fois la fameuse perche finalisée, Robinson est maintenant en possession d’un bien d’équipement (ou bien capital), qu’il utilisera pour augmenter sa collecte future en noix de coco. Le bien d’équipement n’est quant à lui pas consommé : il sert simplement à accroître la productivité finale de la mini structure capitaliste que Robinson vient lui-même de mettre en place. Le temps dégagé pourra désormais être consacré à la réalisation d’autres activités, la confection de nouveaux outils, qui viendront à leur tour allonger, enrichir et complexifier le capital de notre protagoniste.
L’exemple de Robinson, somme toute assez simple, prend tout sens quand on l’extrapole à une société entière et quand on y intègre une notion supplémentaire : l’échange volontaire entre les individus, principe développé dans le livre. En somme, cette “Robinsonade” facilite la compréhension de notions absolument fondamentales aux yeux des économistes autrichiens telles que : l’incertitude inhérente au futur, la subjectivité des besoins, le principe de l’action humaine, mais aussi la préférence temporelle, le coût d’opportunité, la nécessité d’une épargne préalable à tout investissement, la distinction entre biens capitaux et biens de consommation, ou encore les détours de production, la structure du capital, la division du travail, la spécialisation des compétences …
D’une certaine manière, nous sommes encore aujourd’hui redevables du capital accumulé par tous ces Robinson préhistoriques.














