Les pertes spirituelles de l’inflation forcée - J.G. Hülsmann
Extrait : J.G. Hülsmann "L'éthique de la Production de Monnaie" - 13. L'héritage culturel et spirituel de l'inflation forcée, 8. Les pertes spirituelles de l'inflation forcée
L’inflation forcée réduit constamment le pouvoir d’achat de la monnaie. Il est, dans une certaine mesure, possible pour les gens de protéger leur épargne contre cette évolution mais cela requiert des connaissances financières approfondies et du temps afin de supervise constamment ses investissements, plus une bonne dose de chance. Les personnes à qui l’un de ces ingrédients fait défaut ont de fortes chances de perdre une partie considérable de leur capital. L’épargne de toute une vie s’évapore en fumée pendant les quelques années passées à la retraite. Les conséquences en sont le désespoir et l’éradication de tous standards moraux et sociaux. Mais il serait erroné de supposer que l’inflation produit ces effets principalement parmi les personnes âgées. Un auteur remarque ainsi :
Ces effets sont « surtout importants parmi les jeunes. Ils apprennent à vivre dans le présent et méprisent ceux qui essaient de leur inculquer une morale ‘démodée’ ou encore des valeurs aussi ‘vieillottes’ que l’esprit d’épargne ». L’inflation encourage donc ainsi une mentalité de gratification immédiate qui s’oppose purement et simplement à la discipline et à la perspective de l’éternel exigée pour exercer les principe d’intendance bibliques tels que l’investissement à long terme pour le bénéfice des générations futures1.
Même les citoyens avisés ayant les connaissances, le temps et la chance nécessaires afin de protéger leurs économies ne peuvent éviter les effets néfastes de l’inflation parce qu’ils doivent adopter des habitudes qui contredisent toute intégrité morale et spirituelle. L’inflation les pousse à passer bien plus de temps à penser à leur argent qu’ils ne l’auraient fait sinon. Nous avons déjà noté plus haut que, par le passé, les économies prenaient surtout la forme d’espèces. Sous l’inflation forcée, ce régime est suicidaire. Les citoyens doivent investir dans des valeurs qui croissent avec l’inflation et la manière la plus commode est d’investir dans des actions et des obligations. Mais cela implique de passer des heures à comparer et sélectionner les bons titres. Et cela force ces personnes à être bien plus vigilantes et soucieuses de leur argent pour le reste de leur vie. Elles doivent constamment suivre les nouvelles financières et les cours des titres sur les marchés financiers.
De même, les gens auront-ils tendance à prolonger la phase de leur vie pendant laquelle ils gagnent de l’argent. Et l’un des critères les plus importants pour choisir leur profession sera les revenus monétaires escomptés. Ainsi une personne qui serait attirée par le jardinage cherchera néanmoins un emploi industriel parce que celui-ci offre un meilleur retour sur investissement à long terme. En outre, davantage de personnes accepteront des emplois éloignés de leur domicile, parce qu’ils sont mieux rémunérés que dans un système monétaire naturel.
La dimension spirituelle de ces habitudes causées par l’inflation semble être évidente. L’argent et les questions financières en viennent à jouer un rôle exagéré dans la vie de l’individu. L’inflation rend la société matérialiste. De plus en plus de gens cherchent à gagner de l’argent aux dépens de leur bonheur et de celui de leurs prochains. La mobilité géographique artificielle causée par l’inflation réduit les liens familiaux et la loyauté patriotique. Beaucoup de ceux qui tendent à être avares, envieux et pingres par nature tombent alors dans le péché, et même ceux qui ne présentent aucune de ces inclinations se retrouvent exposés à des tentations auxquelles ils n’auraient pas été sensibles autrement. Et parce que les errances des marchés financiers vont fournir une excuse toute prête pour justifier l’usage parcimonieux de son propre argent, les dons aux organisations charitables vont décliner.
Autre conséquence et non des moindres de l’inflation constante : la tendance à détériorer la qualité des produits. Chaque vendeur sait combien il est difficile de vendre des produits aux caractéristiques identiques à un prix plus élevé que les années précédentes. Mais les hausses de prix sont inévitables quand le stock de monnaie est sujet à une croissance incessante. Que font alors les vendeurs ? Dans de nombreux cas, le salut passe par l’innovation technologique
qui permet une production du produit à un coût moindre et neutralise ou compense ainsi l’influence contraire de l’inflation. C’est par exemple le cas des ordinateurs personnels et des équipements dont la fabrication fait largement appel à l’informatique. Mais dans d’autres industries, le progrès technologique joue un rôle bien moins important. Ici, les vendeurs sont confrontés au problème mentionné plus haut. Ils fabriquent alors un produit aux caractéristiques inférieures et le vendent sous le même nom en recourant aux euphémismes d’usage en matière de stratégie commerciale. Par exemple, ils offrent à leurs clients du café « allégé » et des légumes « non pimentés » ce qui équivaut à de l’eau couleur café et des légumes sans goût. On peut observer des détériorations semblables dans les métiers de la construction. Les pays qui souffrent d’une inflation perpétuelle semblent avoir plus souvent qu’ailleurs des maisons et des routes ayant un besoin constant de réparations.
Dans un tel environnement, les gens se mettent à négliger toute précision et toute rigueur dans leur usage du langage. Si tout peut recevoir n’importe quel nom, il devient alors difficile de faire la part des choses entre la vérité et le mensonge. L’inflation incite les gens à mentir sur leurs produits et l’inflation perpétuelle incite au mensonge routinier. Nous avons déjà souligné que le mensonge de routine joue un grand rôle dans le système des banques à réserves fractionnaires, l’institution de base de la monnaie forcée. L’inflation forcée semble répandre cette habitude comme un cancer sur le reste de l’économie.2
Thomas Woods, « Money and Morality : The Christian Moral Tradition and the Best Monetary Regime », Religion & Liberty, vol. 13, no. 5 (sept./oct. 2003). L’auteur cite Ludwig von Mises. Voir également William Gouge, A Short History of Paper Money and Banking in the United States, to which is prefixed an Inquiry into the Principles of the System (Reprint, New York : Augustus M. Kelley, [1833] 1968), pp. 94-101.
La relation entre l’inflation forcée d’un côté, et les fausses perceptions et les représentations trompeuses de la réalité de l’autre, a été analysée avec brio par Paul Canto dans son étude de cas intitulée « Hyperinflation and Hyperreality : Thomas Mann in Light of Austrian Economics », Review of Austrian Economics 7, no. 1 (1994).