Quelle leçon retenir des crises monétaires romaines du troisième siècle ?
Dernière partie de la série d'articles sur les crises monétaires de l'Empire romain. Quelles leçons pour aujourd'hui ?
Quelles leçons tirer du troisième siècle romain et ses péripéties monétaires ? Sont-elles comparables avec ce que nous vivons aujourd’hui ? Une chose est certaine, les impressions massives de billets par les banques centrales et les frappes de pièces par les ateliers monétaires romains suivent la même logique et produisent les mêmes résultats. Malgré tout, il y a deux grandes différences faisant que l’inflation monétaire actuelle est certainement pire que ce que les citoyens romains ont pu connaître.
Le citoyen romain était plus chanceux que nous …
Comme nous l’avons vu, au troisième siècle, les politiques inflationnistes étaient pour le moins… archaïques. Elles impliquent une hausse de la masse monétaire émise corrélée à une dégradation physique, et donc perceptible, de la monnaie. Contrairement à aujourd’hui, la population romaine pouvait voir sa monnaie se dégrader à vue d’œil à mesure que Rome falsifiait sa propre monnaie. Aujourd’hui, l'énorme inconvénient de l’inflation de la monnaie fiat, est que celle-ci est invisible et imperceptible pour les citoyens.
Une monnaie papier a ceci de commode de ne pas présenter une baisse qualitative apparente des nouvelles unités monétaires émises en grand nombre. Mais ne nous y trompons pas, une augmentation de la masse monétaire entraîne immanquablement une baisse de la valeur de la monnaie, une hausse des prix et une altération du calcul économique des échanges. Les effets sont tout aussi dévastateurs pour l’économie.

Second avantage que le citoyen romain a sur nous : face à la dégradation de la qualité du monnayage, ce dernier a fait ce que tout individu sensé dans la même situation ferait : il peut discriminer entre la bonne et la mauvaise monnaie. Il sélectionne ainsi les pièces de monnaie entre elles, accordant plus d’importance aux “bonnes”, celles présentant une meilleure valeur. Celles-ci ne seront finalement pas utilisées dans les échanges, mais thésaurisées afin de se prémunir contre la prodigalité imprévisible du pouvoir. Les autres pièces, perdant continuellement et inévitablement de la valeur, seront utilisées en priorité comme intermédiaires d’échange tant que le contrôle des prix sur le taux de change des monnaies est maintenu.
Aujourd’hui, impossible pour le citoyen des pays inflationnistes de thésauriser la “bonne” monnaie. Même si factuellement, inflation oblige, un euro émis il y 20 ans est plus “fort” qu’un euro actuel, la monnaie fiat empêche, le citoyen de sélectionner les bons euros et de se débarrasser des mauvais.
La loi de Gresham
Ce processus de sélection a un nom : la loi de Gresham. Celle-ci porte le nom de Thomas Gresham (1519 - 1579), financier et marchand anglais sous le règne de la reine Elizabeth. La loi est simple et tient en une seule phrase : “la mauvaise monnaie chasse la bonne monnaie de l’économie”.
Dans son esprit, la loi explique que dans une économie où plusieurs monnaies circulent concurremment, les différents acteurs économiques ont tendance à discriminer les monnaies entre elles. Celles présentant le moins de valeur et inspirant le moins de confiance sont en priorité utilisées lors des échanges afin de s’en débarrasser rapidement. Les autres, celles de meilleure qualité étant plus difficiles à dévaluer et déprécier, sont en priorité conservées et thésaurisées. Cette thésaurisation “réflexe” de la bonne monnaie souligne le manque de confiance de la population envers la politique monétaire décidée par ses dirigeants.
L’exemple de l’argenteus de l’Empereur Dioclétien, aussitôt thésaurisé dès son émission, en est un bon exemple. Bien plus tard, Murray Rothbard, grande figure de l’école autrichienne d’économie, soulignera très justement que cette loi est uniquement valable dans un système où l'État impose l’usage et le “prix” d’une monnaie par le contrôle des taux de change entre des monnaies d’inégales valeurs : ‘La loi [de Gresham] dit en fait qu’une monnaie artificiellement surévaluée par l’État chasse de la circulation celle qui est artificiellement sous-évaluée.”
Dans une économie libre, avec une libre concurrence des monnaies, “la bonne monnaie chasserait la mauvaise monnaie” car la population aura toujours tendance à privilégier le meilleur intermédiaire d’échange, qui est, par la même occasion, la meilleure mesure de la valeur et la meilleure réserve de valeur.
Le mot de la fin …
Le rôle de la monnaie a été à bien des égards le principal catalyseur ayant entraîné la chute de Rome, les interventions et les régulations de l’administration pour régler les problèmes n’ont quant à elles fait qu’accélérer le déclin. En détruisant la monnaie, l’Empire a créé une distortion dans le système des prix et s’est retrouvé sans référentiel fiable pour le calcul sain du processus économique. Conséquence de quoi, la division du travail, basée sur le commerce et l’artisanat spécialisé, s’est graduellement effondrée à l’échelle de l’Empire. Ce qui avait fait la force de Rome disparait graduellement.
Tant de signes propres aux déclins monétaire, économique et sociétal auxquels nous devons rester attentifs encore aujourd’hui et qui, finalement, émanent d’une chose très simple : la mauvaise gestion de la monnaie. Le citoyen romain avait l’avantage, contrairement à nous, de pouvoir sélectionner sa monnaie. Nous avons quant à nous aujourd'hui les capacités d’analyser plus finement le processus économique afin de comprendre les conséquences de l’inflation pour ne pas répéter les erreurs du passé.
Au final, une monnaie non-manipulable et incensurable, comme Bitcoin, pourrait-elle nous éviter de terminer comme l’Empire romain ?