Préparer la Paix en Ukraine
C'est lorsque les armes se taisent que la partie la plus dure d'une guerre se joue. Il faut toute l'intelligence, le discernement et le calme d'hommes raisonnables pour construire une paix durable.
Les premiers échanges concernant la fin du conflit ukrainien, qui seront discutés par la Russie et les États-Unis en Arabie saoudite, seront essentiels pour l'avenir du continent européen. Dans ce contexte, il semble que l’Europe soit écartée de ces pourparlers. Une onde de choc dans un monde en pleine mutation. Essayons de prendre du recul pour voir si nous pouvons trouver dans le passé des leçons qui pourraient nous éclairer aujourd’hui.
Les leçons du passé
Rappelons que c'est lorsque les armes se taisent que la partie la plus dure d'une guerre se joue. Il faut toute l'intelligence, le discernement et le calme d'hommes raisonnables pour construire une paix durable, et non pas une simple trêve qui laisserait aux belligérants d'hier le temps de préparer la guerre de demain.
Souvenons-nous du traité de Francfort (1871), une paix catastrophique pour les Allemands. Le jeune Empire allemand humilia tellement la France en lui retirant l'Alsace-Lorraine qu'une paix durable et des relations bilatérales saines étaient impossibles... Au grand dam de Bismarck qui avait prédit la catastrophe à venir et tout fait pour conclure une paix constructive. En tant qu'homme d'État réaliste, il préférait même céder ces régions à la Suisse, mais il a été obligé de céder aux nationalistes allemands. Finalement, la paix de 1871 ne fut qu'une trêve de 43 ans.
Souvenons-nous aussi du traité de Versailles (1919), lui aussi une catastrophe diplomatique. En voulant contenter tout le monde, les Alliés ont été durs là où il aurait fallu faire preuve de bienveillance envers l'Allemagne (réparations excessives, humiliations lors du désarmement et de l'occupation) et ont été faibles là où il aurait fallu faire preuve de dureté (fragmentation totale de l'Europe centrale). Comme le disait Ferdinand Foch, "la paix de 1919 n'était qu'un armistice de 20 ans."
Enfin, souvenons-nous du Congrès de Vienne (1814-1815) qui a permis de redessiner un ordre européen basé sur l'équilibre des puissances au sortir des guerres napoléoniennes. Un équilibre qui a été un succès puisqu'il a empêché l'émergence d'un conflit global jusqu'en 1914. Si ce traité a été un franc succès, c'est avant tout grâce aux diplomates de l'époque qui y ont participé. Quand, autour de la table, se trouvent des Metternich, Castlereagh et Talleyrand, c'est la raison et l'intelligence qui règnent en maîtres. Il n'y avait alors pas de place pour le pathos ou l'humiliation déraisonnée de la France.
Souvenons-nous de toutes ces leçons du passé. La diplomatie est recherche du compromis, et la paix n'est pas la consécration de la victoire, mais la construction d'un ordre qui doit prendre en compte l'ensemble des intérêts et des préoccupations légitimes des anciens adversaires.
Espérons donc que la raison, l'intelligence et le compromis s'invitent dans le traité de paix qui se prépare entre l'OTAN et la Russie. Une paix qui, si bien négociée, pourrait ouvrir une période de prospérité et d'apaisement durable des relations en Europe.
Écarter les bellicistes pour construire la paix
Nous observons aujourd’hui le souhait des Etats-Unis d’écarter les pays européens, dont l’Ukraine, des accords de paix qui se préparent en Arabie saoudite entre l’OTAN et la Russie. Cette décision forte souligne plusieurs choses. Premièrement, ce conflit a toujours été un conflit opposant l’OTAN à la Russie. Deuxièmement, cette décision souligne le déclassement géopolitique inédit de l’Europe, dont l’avis pour la résolution d’un conflit se passant sur son sol n’est même pas demandé. Une faillite sans précédent de la diplomatie européenne.
La France va donc observer les accords de paix négociés entre la Russie et les États-Unis sur le banc de touche, à côté de l'Ukraine. Au final, c'est certainement mieux ainsi. Les élites européennes sont aujourd'hui intellectuellement incapables d'envisager tout compromis avec la Russie pour mettre un terme à ce conflit. Écarter les élites européennes, belliqueuses et moralisatrices, des accords de paix devient le seul moyen d'envisager des négociations sereines afin de construire une paix véritablement durable avec la Russie.
Nous retrouvons cette analyse douloureuse mais juste des élites européennes dans les propos tenus par Keith Kellogg récemment lors de la conférence sur la sécurité s’étant tenue à Munich :
"Premièrement, les Européens ont adopté une position intransigeante en matière d’ exigences et de refus de s'engager dans la diplomatie, au point qu'ils s'opposent aux négociations de paix et risquent de compromettre ces dernières. Deuxièmement, les Européens se sont subordonnés et sont devenus de plus en plus insignifiants, au point que ni les Américains ni les Russes ne veulent d'eux à la table des négociations. Cela aurait dû être évident, mais l'Europe est prisonnière d'une chambre d'écho idéologique où toute remise en question du récit est interdite."
Le retour du réalisme en géopolitique
Depuis 1917 et l'arrivée en fanfare des États-Unis dans l'arène internationale, l'Europe s'est laissée imposer la vision du monde américaine et son idéal wilsonien.
En 1917, Woodrow Wilson est le président américain qui jette son pays dans la Première Guerre mondiale. Ce faisant, il rompt avec la longue tradition isolationniste des États-Unis et transforme le conflit en lutte à mort entre la “démocratie” et la “tyrannie”. Rendant ainsi tout compromis et toute issue raisonnable du conflit impossible. Chose pourtant encore possible avec l'Empire allemand en 1916. La mentalité de la “guerre totale”, visant l'annihilation complète de l'ennemi, considéré comme le mal absolu, naît alors.
Ainsi, à partir de 1916, la géopolitique européenne de tradition réaliste, basée sur l'équilibre des puissances, vole en éclats au profit d'une vision manichéenne et simpliste, poussée par le président presbytérien américain. C'est l'idéalisme Wilsonien. Ce cadre idéologique strict influencera profondément la politique étrangère des États-Unis tout au long du 20ème siècle. Les “neocon” en sont les dignes héritiers.
Des géopoliticiens américains réalistes comme Henry Kissinger ont été très durs avec Wilson, qualifiant son approche “d'illusion”. Une approche qui a fortement compliqué la situation en Europe après la fin de la Grande Guerre (traité de Versailles, autodétermination des peuples, SDN…). Depuis 1916, en ne considérant les relations internationales que sous l'angle de la lutte du “Bien”contre le “Mal”, l'Occident tout entier s'est enfermé dans une lecture géopolitique moralisatrice.
Encore aujourd'hui, les élites européennes voient les relations internationales uniquement par ce prisme wilsonien, manichéen, idéaliste et moral. Ce modèle s'est bien imposé à nous, qu'on le veuille ou non, et il est plus vivace que jamais depuis 1991. Il n'a rien à voir avec la longue tradition diplomatique européenne, réaliste, équilibrée et raisonnable dont l’origine lointaine remonte au Cardinal de Richelieu et à sa fameuse “Raison d’Etat”.
A contrario, la nouvelle administration Trump semble revenir à une forme d’approche réaliste de la géopolitique. Les récentes déclarations du nouveau secrétaire à la Défense des États-Unis, Pete Hegseth, sont assez éloquentes : “Je pense que le réalisme est un élément important de la conversation qui n'a pas suffisamment existé”. Ce nouveau réalisme des États-Unis reste particulier. Il est encore très teinté d'exceptionnalisme américain, à l'image de ce que peut défendre Elbridge Colby, contrairement à un réalisme plus offensif et froid comme peuvent le mettre en avant John Mearsheimer et Glenn Diesen.
2025 est déjà une année assez riche.