Pénurie de psychotropes : le prix de l'interventionnisme économique
Contrôle des prix, pénurie... Un cas d’école français des méfaits de l’interventionnisme politique.
Récemment une tribune collective publiée le 15 avril 2025 dans le journal français Le Monde dénonce une pénurie de nombreux médicaments psychotropes essentiels pour le traitement de certains problèmes psychiatriques en France. La liste est longue et ne cesse de s’allonger au fil des semaines “sertraline et venlafaxine, antidépresseurs de référence ; lithium, indispensable aux patients bipolaires, avec date de remise à disposition « indéterminée » ; et même l’olanzapine à libération prolongée, réservé aux formes les plus difficiles à stabiliser, indisponible à cause d’une défaillance de fabrication des aiguilles d’injection.”
Ces pénuries peuvent entraîner des problèmes graves chez certains patients qui, ne pouvant plus suivre leur traitement, se retrouvent dans des situations parfois compliquées et désespérées. En continuant la lecture de l’article, les auteurs présentent plusieurs causes à ces pénuries : Dépendance aux fournisseurs étrangers, problèmes de production et réserves stratégiques nationales insuffisantes … “Les causes de ces pénuries de médicaments sont multiples : fragilité des chaînes d’approvisionnement, dépendance à des sites industriels étrangers uniques…”
Les auteurs évoquent ensuite brièvement une autre cause : “les stratégies commerciales des laboratoires pharmaceutiques privilégiant des marchés plus rentables, les régulation des prix en France sont jugées insuffisamment attractives par les fabricants.” Parmi toutes les causes citées, c’est bien celle-ci, l’intervention de l'État français dans le marché pharmaceutique est bien la cause réelle des pénuries des médicaments qui pousse les producteurs dans d’autres marchés moins contraignants.
Il s’agit d’une histoire vieille comme le monde qu’il faut sans cesse rappeler : les pénuries de biens sont le fait de l’interventionnisme politique qui, en cherchant à rendre des biens accessibles au plus grand nombre, ne fait que créer des pénuries.
Les pénuries, à qui la faute ?
Depuis plusieurs années le Comité économique des produits de santé (CEPS), comité public chargé de négocier et fixer les prix des médicaments remboursables, fixe les prix et impose parfois des baisses de prix sur certains médicaments.
L'objectif de rendre des biens accessibles au plus grand nombre provoque une hausse artificielle de la demande pour ces mêmes biens, alors que l’offre et la capacité de production des entrepreneurs restent inchangées. Les producteurs ne peuvent pas augmenter le prix de vente de leurs biens, alors que les coûts de production et ceux des intrants ne cessent d'augmenter dans une économie inflationniste. Ils finissent inévitablement par ne plus produire à perte. Plusieurs choix s'offrent alors à eux : réduire leur production, réorienter leur capital et leurs biens capitaux vers d'autres secteurs non soumis à un contrôle des prix, changer de marché géographique ou faire faillite.
"L'économie ne dit pas que l'ingérence isolée du gouvernement dans les prix d'une seule marchandise ou de quelques marchandises est injuste, mauvaise ou irréalisable. Elle dit qu'une telle ingérence produit des résultats contraires à son objectif, qu'elle aggrave les conditions, au lieu de les améliorer, du point de vue du gouvernement et de ceux qui soutiennent son ingérence". Ludwig von Mises - Human Action, p. 758; p. 764
Dans le cas de la pénurie de psychotropes en France, la réponse se trouve dans l'article du journal Le Monde : "Les industriels soulignent les prix trop bas des médicaments 'essentiels' en France et n’hésitent pas à orienter leurs ventes vers des marchés plus rémunérateurs." Les laboratoires pharmaceutiques optent donc pour la réorientation des biens produits vers des marchés plus lucratifs et moins régulés, ou réduisent la production de certains médicaments, provoquant ainsi des ruptures de stock.
Pas le choix : En France, les prix des psychotropes sont parmi les plus bas d’Europe, souvent inférieurs 30 à 50 % à ceux des pays voisins. Ces prix très bas imposés par le CEPS, combinés à des révisions fréquentes des prix à la baisse, comme en 2017, réduisent la rentabilité des psychotropes, surtout ceux à faible marge. Pire encore, notons également des dispositions donnant au comité le droit d’imposer des baisses de prix rétroactives si les volumes dépassent les prévisions de production, ce qui a pour conséquence de dissuader les laboratoires de produire davantage de médicaments.
Quelles leçons en tirer ? L'interventionnisme économique, qui vise à rendre certains biens accessibles au plus grand nombre, produit l'effet inverse de celui initialement recherché. Ce sont toujours les consommateurs, à qui l'État avait pourtant promis un accès facilité à ces biens, qui se retrouvent constamment pénalisés. Dans l'exemple français, ce sont malheureusement des individus vulnérables souffrant de pathologies psychiatriques qui sont touchés. En approfondissant, nous découvrons que la faute n’est pas celle des entrepreneurs et des capitalistes, mais bien de l’État qui bouleverse le marché de ces biens.
Une leçon d’économie politique aussi vieille que l’empereur Dioclétien
“Même la peine capitale n'a pu faire fonctionner le contrôle des prix à l'époque de l'empereur Dioclétien et de la Révolution française.”- Ludwig von Mises Defense, Control, and Inflation, pp. 109–10
Le premier responsable de ces pénuries reste l'État lui-même, qui choisit d'ignorer des principes économiques fondamentaux. Il ignore le principe même de la rareté, le rôle des prix comme reflet de la rareté relative des biens, le rôle informatif des prix comme déterminants les coûts pour l’entrepreneur et ignore que son action législative sur un secteur donné et un bien précis aura des conséquences inattendues sur l’ensemble de la société. C’est l’éternelle leçon d’économie politique de Hazlitt : toute intervention publique doit considérer l'ensemble des conséquences directes et indirectes de sa politique, sous peine de générer des effets pervers, invisibles à première vue, dépassant les bénéfices immédiats visibles.
“L'art de l'économie consiste à examiner non seulement les effets immédiats, mais aussi les effets à plus long terme d'un acte ou d'une politique ; il consiste à tracer les conséquences de cette politique non seulement pour un groupe, mais pour tous les groupes.” Henry Hazlitt - Economics in One Lesson - p.5
L’Etat décide également d’ignorer une autre règle de base du marché : le commerce est un flux ininterrompu, il se dirige toujours vers les marchés où les profits sont possibles. Si des réglementations, des contrôles et des barrières sont érigés, il les contournera de manière certaine pour s’en aller vers d’autres contrées plus ouvertes.
Pour quiconque connaît et étudie l’histoire, des erreurs similaires se sont pourtant déjà produites. Les effets néfastes du contrôle des prix sont connus depuis l'édit du Maximum de Dioclétien en 301. Cet Edictum de pretiis rerum venalium fixait un prix maximum sur plus de 1000 marchandises, services et salaires à travers l’Empire romain. Dans la pure tradition romaine, toute personne ne respectant pas cet édit était punie de la peine de mort. Les conséquences furent multiples : pénuries, émergence du marché noir et… inévitablement le non-respect de l’édit.
"Chaque fois que le gouvernement obtient le même résultat, partout la conséquence est la même. Une fois que le gouvernement a fixé un prix maximum pour les biens de consommation, il doit remonter jusqu'aux biens de production et limiter les prix des biens de production nécessaires à la production des biens de consommation dont le prix est contrôlé". - Ludwig von Mises - Economic Policy, Thoughts for Today and Tomorrow
Que se passera-t-il ensuite ? Une fuite en avant vers toujours plus de contrôle. Comme le gouvernement pense toujours pouvoir corriger un problème qu'il a lui-même créé, il imposera de nouvelles contraintes aux producteurs et instaurera des contrôles des prix plus stricts. Dans notre exemple français, ces deux solutions proposées pour répondre aux pénuries sont sans surprise plus de contrôle et plus d’intervention de la part de l’État. Par exemple, imposer des amendes plus lourdes aux laboratoires qui ne respectent pas leurs obligations minimales et légales de stock.
Lorsque ces interventions supplémentaires se révéleront inefficaces, la prochaine étape sera soit le rationnement des biens concernés, soit le contrôle accru des individus, soit le retour au bon sens et la fin de l’interventionnisme économique. Comme la dernière solution est rarement choisie délibérément par la force publique, c’est la première qui a le plus de chances de se produire. Avec elle, l'augmentation nécessaire des capacités coercitives de l'État, qui se transformera peu à peu en un État policier à mesure que son contrôle sur l'économie s'accroîtra. L'interventionnisme est une machine infernale que rien n'arrête.
Finalement, cette double ignorance, historique et économique, se paie inévitablement, mais jamais par le politique, toujours par les consommateurs qui sont les premiers concernés par les biens en question. L’histoire se répète sans cesse et la même question demeure : vaut-il mieux un produit cher mais disponible ou un produit peu cher mais indisponible ?