L’impossible calcul économique en régime socialiste
Plusieurs économistes de l’école autrichienne se sont longtemps opposés au communisme puis au socialisme pour leur manque de compréhension du processus économique. C'était le cas de Mises.
Plusieurs économistes de l’école autrichienne se sont longtemps opposés au communisme puis au socialisme pour leur manque de compréhension du processus économique. C’était le cas de Böhm-Bawerk, Hayek et Mises.
Pour le dernier d’entre eux, Ludwig von Mises, sa réfutation théorique du socialisme économique est ce qui l’a fait connaître en tant qu’économiste incontournable au début du 20ème siècle. Ludwig von Mises, c'est trois choses : la praxéologie, la théorie de la monnaie et du crédit (et de sa conséquence logique, la théorie des cycles économiques) et la réfutation de la possibilité pratique et théorique (non morale) du socialisme. C’est ce dernier point, détaillé dans un article ("Le calcul économique en régime socialiste" - 1920) et dans un livre ("Le Socialisme" - 1922), que je vous propose d’explorer dans ce court article.
Pourquoi le socialisme économique ne peut pas fonctionner ?
La première idée importante avancée par Ludwig von Mises est que la quantité d'informations contenue dans le marché, la somme des choix individuels et subjectifs, est trop importante, trop changeante et impossible à connaître en tout temps et en tout endroit. Ainsi, un homme seul, ouun comité central, n'aura jamais à sa disposition toutes les informations nécessaires permettant la bonne allocation des ressources dans une économie. La seule possibilité d’avoir un calcul centralisé des besoins des individus serait d’atteindre un équilibre des marché, un état statique de celui-ci où rien ne change, où tous les résultats passés sont analysés et tous les besoins futurs sont connus. Ce qui est bien entendu impossible, comme le souligne Mises dans son livre “Le Socialisme” :
“L’économie en état d’équilibre peut se passer de calcul économique, étant donné qu’en de telles circonstances les évènements économiques se répètent de façon récurrente ; et si nous supposons que le point de départ d’une économie socialiste de caractère statique coïncide avec l’état final d’une économie concurrentielle, on pourrait concevoir un système socialiste de production rationnellement contrôlé du point de vue économique. Cependant, cette possibilité n’a qu’un caractère conceptuel, étant donné qu’il ne peut pas y avoir d’état d’équilibre dans la vie réelle, où l’information économique change constamment ; c’est pourquoi le modèle statique n’est qu’une hypothèse théorique sans connexion avec les circonstances de la vie réelle.”
Cette idée de l'information, trop importante et dispersée, sera reprise plus tard par un autre économiste de l’école autrichienne, Friedrich Hayek, qui en fera un de ses arguments principaux contre le collectivisme économique. Son papier “The Use of Knowledge in Society” est en ce sens l’un des articles économiques les plus importants publiés au cours du 20ème siècle. (version française - version originale).
Les prix se décident en amont de la production
Il s’agit ici d’une seconde idée essentielle à comprendre et qui remet en cause l’argumentaire socialiste d’une organisation centralisée de l’économie. Le but du processus de production reste avant tout la fabrication de biens de consommation. La finalité est toujours de satisfaire les besoins des consommateurs au meilleur prix.
Pour l'entrepreneur, le prix final détermine donc les coûts et non l'inverse, comme les socialistes et communistes le pensaient à l’époque de Mises. Ce point est important, car le prix final d’un bien que paiera le consommateur influence l’organisation de la structure productive de la société dans sa globalité, de l’extraction des matières premières aux dernières étapes de la production les plus proches des biens fins. Dans la tradition autrichienne depuis Wieser, les coûts, en tant que valeurs subjectives, s’assument en fonction de la valeur subjective que les fins poursuivies représentent pour un individu. C’est le coût d’opportunité, pour arriver à nos fins nous sélectionnons entre différentes manières de procéder. Le choix, rationnel, de l’une d’entres elles nous fait renoncer par la même occasion à toutes les autres.
“Car, sans liberté pour exercer la fonction entrepreneuriale, ni marchés libres pour les biens d’investissement et l’argent, le calcul économique nécessaire concernant l’extension horizontale et verticale des différentes étapes du processus productif ne peut pas se faire, et cela provoque un comportement d’incoordination généralisée qui désorganise la société et empêche son développement harmonieux.”
Jesús Huerta de Soto
De leur côté, les socialistes du début du 20ème siècle pensaient que le prix était fixé à la fin de la production, omettant totalement le but du marché (et de la fonction de l’entrepreneur) d’organiser le plus efficacement possible la structure du capital (les étapes intermédiaires) afin de profiter de l’utilisation la plus efficiente des ressources et des facteurs rares de production (travail et temps). C’est le donc le prix, décidé avant les coûts, qui permet d’allouer les ressources aux bons endroits. Cela ne peut se faire que grâce à l’entrepreneur, une monnaie non manipulée, des échanges volontaires non contraints et une liberté des prix.
L’importance des échanges volontaires et de la propriété privée
C’est l’échange volontaire entre les acteurs économiques qui permet de fixer le vrai prix des biens intermédiaires dans le processus de production. De ce fait, dans une économie socialiste, l'absence de propriété privée empêche les entrepreneurs de fixer organiquement et librement les prix. Le flou s’installe donc, la valeur monétaire des biens, du travail, des ressources, du temps lui-même est impossible à déterminer. Ces données étant inconnues, les entrepreneurs ne savent alors pas comment organiser le plus efficacement la structure productive. Ils naviguent à l’aveugle.
Dans ce contexte, les surplus, gaspillage, pénuries abondent. Tout simplement car en l’absence de forces entrepreneuriales et des échanges libres, le régime socialiste ne sait pas où allouer les ressources. Sans prix libres, une économie planifiée se prive de calcul monétaire sain et navigue donc à l’aveugle. Les résultats passés sont impossibles à analyser et la production future est impossible à prévoir.
“Là où la liberté de marché, prix de marché et/ou monnaie n’existent pas, il ne peut y avoir aucune sorte de calcul économique “rationnel”, si l’on entend par “rationnel” le calcul réalisé en disposant de l’information nécessaire (pas arbitraire) pour l’effectuer.”
Jesús Huerta de Soto
L'importance de l'entrepreneuriat, des profits et des pertes
Cette impossibilité d’allouer les ressources là où elles sont les plus efficaces et profitables vient également de l'absence de possibilités de gains (profits) et de pertes (faillites) dans une économie collectiviste. C’est le vieil adage, on dépense toujours mieux son propre argent que celui des autres.
Le rôle de l’entrepreneur, absent dans le socialisme, est donc crucial. C’est lui qui organise la production et c’est également lui qui innove, toujours dans le but de mieux servir le consommateur et de générer un profit. Constamment en état d’alerte (Kirzner) son rôle est donc de découvrir l’information, de l’utiliser et d’en faire profiter l’ensemble de la communauté. C’est par exemple l’entrepreneur qui découvre de nouvelles manières d’utiliser certains matériaux où découvre des méthodes plus efficaces et moins onéreuses de production.
Ce caractère dynamique du processus entrepreneurial est incompatible avec un régime planificateur qui ne peut lui-même pas produire et transmettre l’information, ni même traiter l’ensemble de ces informations. L’économie étant un processus de création constant, il est impossible pour quiconque d’être au fait de toutes ces connaissances. Cela reviendrait à être omniscient, omnipotent et omniprésent. Donc se croire être Dieu.
“Quas exacte comprehendere et ponderare Dei est non hominum” - “Les hommes ne peuvent pas le comprendre entièrement. Seul Dieu le peut.”
Juan de Salas (1617) - se référant à l’impossibilité de connaître l’information spécifique de marché par un gouvernement.
Le manque de liberté et la corruption
Comme nous l’avons vu, le manque de liberté est donc néfaste pour le calcul économique. Sa privation empêche la liberté d’action humaine d’exercer tout son potentiel et de rechercher ainsi l’information et d’en faire l’utilisation la plus efficace possible. Dans une telle société, sans liberté et propriété privée, la corruption et la manipulation de l’information viennent aggraver l’économie du pays, qui échappe peu à peu au gouvernement central au fur et à mesure que son contrôle sur celle-ci s’accroît.
C’est l’une des explications que donne Murray Rothbard de la chute inévitable de l’Union Soviétique en 1991.
“L’allocation efficace des ressources est devenue impossible en raison du manque d’informations sur les prix. La seule façon de faire fonctionner ce mécanisme, comme Lénine et ses successeurs l’avaient compris, était de recourir à la terreur. La peur s’est implantée dans l’esprit des gens et a remplacé les incitations économiques normales. Ce n’est pas une coïncidence si l’économie soviétique a atteint ses taux de croissance les plus élevés pendant la période des purges staliniennes et de la terreur de masse. Le marché a été remplacé par un système de commandements basé sur le mécanisme de la planification centrale et de la propriété de l'État.”
“L'information est devenue un business avec peu de contrôles, avec pour résultat que diverses agences gouvernementales concoctent et colportent les données de leur choix. Et les dirigeants eux-mêmes manipulent perpétuellement leurs chiffres pour tromper et désinformer divers utilisateurs, notamment le G-7. Les chiffres s’améliorent invariablement lorsque les décisions de décaissement de l’aide sont imminentes et se détériorent peu de temps après.”
Murray Rothbard - A propos de l’URSS - 1996
L’information, les données, les statistiques provenant de fonctionnaires payés par le régime, et qui constituent la base de l’information sur laquelle se construit la planification économique, est elle-même manipulée et ne reflètent pas la réalité. Ainsi, non seulement l’économie socialiste navigue dans les ténèbres, les seules informations qu’elle reçoit sont incorrectes.
Le mot de la fin, par Mises…
Dans son livre "Planned Chaos" Ludwig von Mises résume en un paragraphe l'ensemble de ses idées développées plusieurs années plus tôt :
"L'objection fondamentale avancée contre la faisabilité du socialisme se réfère à l'impossibilité du calcul économique. Il a été démontré de manière irréfutable qu'un Commonwealth socialiste ne serait pas en mesure d’appliquer le calcul économique.
Lorsqu'il n'existe pas de prix de marché pour les facteurs de production car ils ne sont ni achetés ni vendus, il est impossible de recourir au calcul en planifiant les actions futures et déterminer le résultat des actions passées.
Une gestion socialiste de la production ne saurait tout simplement pas si ce qu’elle planifie et exécute est le plus approprié ou non moyen d'atteindre les fins recherchées. Il fonctionnera pour ainsi dire dans l’obscurité.
Cela gaspille les facteurs rares de production à la fois matérielle et humaine (travail). Le chaos et la pauvreté pour tous en résulterait inévitablement."
Comment résumer cette impossibilité du calcul économique en régime socialiste simplement et rapidement ? Sans propriété privée, pas d’échanges libres. Sans échanges libres, pas de prix. Sans prix, pas de calcul monétaire possible. Sans calcul monétaire, pas d’analyse possible des résultats passés et pas de prédiction possible de la production future.