L’héritage, pilier du progrès civilisationnel
Les libéraux comprennent que la société est avant tout une société de familles, une société d’individus qui reçoivent et transmettent. Sans héritage, pas de progrès possible.
“Il faut taxer ces héritages qui passent de génération en génération, ce truc qui vous tombe du ciel, il y a un moment où ça suffit !” Cette déclaration de Yaël Braun-Pivet le 15 octobre 2025 sur France TV, loin d’être anodine, s’attaque directement à la base de ce qui permet la construction continue du progrès d’une société : la propriété et la transmission de celle-ci d’une génération à la suivante. Autrement dit, épargner, reporter sa consommation présente dans l’optique de meilleures conditions de vie futures pour nous-mêmes et pour les générations à venir.
Ces individus, en dénonçant l’héritage, deviennent, malgré eux, incroyablement dangereux. Ils dénoncent souvent le libéralisme comme étant une doctrine individualiste et égocentrique, or il n’en est rien. Les libéraux comprennent au contraire que la société est avant tout une société de familles, une société d’individus qui reçoivent et transmettent. Sans héritage, pas de progrès possible.
La propriété privée, fondement de la civilisation
Pour le libéral, défendre l’héritage, c’est défendre la propriété privée. Elle et sa fille, la liberté, forment le socle sur lequel la société dans son ensemble bâtit le progrès, la prospérité et la civilisation. Il est donc tout à fait logique de s’opposer à la spoliation légale de l’héritage, car cela va à l’encontre de la liberté des individus de disposer de leur patrimoine comme ils l’entendent.
L’attaque contre la propriété et la liberté de jouir de celle-ci comme bon nous semble peut donc être considérée comme une menace contre la civilisation, tout simplement parce que cette attaque empêche la multiplicité des plans individuels de s’exécuter.
Un libéral est respectueux de la vie des autres, de la liberté et de la propriété privée. Le libéral ne méprise pas l’héritage, n’envie pas et ne jalouse pas ce qui ne lui appartient pas. Il admet qu’on puisse transmettre la richesse, tout comme il admet que celle-ci puisse se perdre à la suite d’une mauvaise gestion. Il comprend que la transmission intergénérationnelle est l’un des piliers essentiels du progrès, car nous perfectionnons toujours ce que nous avons reçu des générations passées, avant de le léguer à d’autres. Bref, il faut comprendre que personne ne part jamais de zéro.
Le renversement invisible des incitations
Une autre idée essentielle à comprendre est que taxer l’héritage bouleverse la préférence temporelle des individus. Il y a en effet moins d’incitation à créer du capital si l’on ne peut pas le léguer comme bon nous semble. À l’inverse, l’incitation à la consommation du capital reçu augmente. Taxer l’héritage produit donc un effet invisible qui renforce l’individualisme nombriliste et consumériste, tout en affaiblissant la capacité de la société à se projeter et à investir dans l’avenir.
Il ne faut pas oublier que l’intérêt personnel reste le principal moteur de l’action humaine. Modifier les incitations individuelles et la préférence temporelle a des effets imperceptibles sur l’action humaine, et donc sur la société dans son ensemble. Si vous ne pouvez plus jouir des fruits de votre travail ni les transmettre à qui vous voulez, vous n’êtes plus incité à produire de la richesse. L’énorme avantage de cet “égoïsme individuel” est qu’il rejaillit toujours de façon positive sur l’ensemble du collectif. C’est la morale de la fable des abeilles de Mandeville.
Taxer les revenus, c’est-à-dire le présent, est une chose. Taxer l’héritage, c’est-à-dire le passé, en est une autre. Cela introduit une incertitude violente pour l’individu, car tout ce qu’il pensait être acquis ne l’est en fait pas. Il faut comprendre l’importance de la préférence temporelle sur les incitations individuelles pour comprendre la différence importante, et dangereuse, entre taxer un flux et taxer un patrimoine. Si l’on comprend le renversement des effets incitatifs qui se produit lorsque l’on taxe l’héritage, on comprend que le taxer totalement ou partiellement, produit les mêmes effets, juste à des degrés différents. Sur cette question, comme sur beaucoup d’autres, la “troisième voie”, c’est-à-dire celle du milieu, est toujours celle qui dérive vers la pire des solutions. Il n’y a que deux points de vue : ne pas taxer l’héritage, ou le taxer, partiellement ou totalement.
Bastiat nous a appris à regarder au-delà de l’évidence, à considérer non seulement ce qui se voit, mais aussi ce qui ne se voit pas. Dans ce cas, l’invisible, ce qu’on ne voit pas, ce serait tous ces individus naturellement plus productifs que les autres et qui n’auraient plus aucune incitation à l’être. Ce qui se voit, c’est l’inégalité apparente des héritages. Ce qui ne se voit pas, ce sont tous ces entrepreneurs qui ne créeront pas, tous ces capitaux qui ne seront pas investis, toutes ces innovations qui n’émergeront jamais parce que l’incitation à bâtir pour l’avenir aura été anéantie. C’est bien la société dans son ensemble qui pâtirait d’une telle situation, pas uniquement les individus visiblement concernés au premier abord : celui qui lègue son héritage et ceux qui le reçoivent.
L’individualisme qu’ils prétendent combattre
Les pourfendeurs de l’héritage ne comprennent pas qu’avec ce genre de mesure, ils promeuvent justement l’individualisme égoïste qu’ils prétendent combattre : un individualisme consumériste, tourné vers le présent, coupé de son passé et incapable de se projeter dans l’avenir, au-delà de sa propre personne. Chaque individu devient alors un navire perdu, sans boussole ni destination.
Sans héritage, il n’existe plus d’incitation à produire et à faire fructifier ce que nous avons reçu afin de le transmettre à notre tour, amélioré et perfectionné, à nos descendants. Individuellement, cette perte de sens existentiel est dramatique ; cumulée à l’échelle d’une société, elle devient catastrophique. Supprimer l’héritage inverserait donc totalement les effets incitatifs et l’inclination naturelle des individus à bâtir et à léguer. Les revenus ne sont plus épargnés pour d’autres, mais consommés pour nous mêmes. Preuve en est la Suède, où la suppression de la taxe sur les successions en 2004 a augmenté les investissements productifs et les revenus fiscaux de 31 milliards de dollars malgré une baisse du taux d’imposition. (worldtaxpayers.org)
Enfin, sur le plan philosophique, confisquer l’héritage, c’est rompre avec le devoir de continuité intergénérationnelle et historique que nous devons à nos ancêtres et à nos descendants. C’est nier l’essence même de ce qui fait une civilisation : la transmission du savoir, du capital, de l’expérience accumulée. En bref, être contre l’héritage produit un effet invisible qui incite à la surconsommation du capital, affaiblissant ainsi les liens intrafamiliaux et la capacité de la société à être reconnaissante de ce qu’elle reçoit et à se projeter plus facilement dans le futur.
Le marché, véritable redistributeur du capital
Contrairement à ce que croient les collectivistes, l’héritage est souvent un fardeau pour celui qui le reçoit. Il y a le poids de la transmission et la terrible question de savoir si l’on a la capacité d’améliorer ce que l’on a reçu, de le faire fructifier, et donc d’être aussi bon, voire meilleur que nos aïeux et dignes d’eux.
Ce n’est pas pour rien que la fameuse malédiction de la “troisième génération” existe, qui dilapide tout ce que les deux précédentes générations ont construit. C’est une règle quasi systématique qui hante toutes les grandes familles capitalistes : il est rare que les dynasties perdurent, car le marché est un processus dynamique et sans cesse changeant, dans lequel l’erreur d’allocation du capital fait partie intégrante du pari entrepreneurial. Le marché est là pour redistribuer lui-même le capital... Bien plus efficacement que l’État ne saurait le faire.
À la différence des anciens systèmes aristocratiques et des systèmes collectivistes actuels, les fortunes se font et se défont bien plus assurément dans un système libre que dans un système fermé qui maintient par la loi les privilèges héréditaires, de parti ou de copinage. Le marché libre est la seule organisation sociale qui récompense les plus méritants d’entre nous pour le service réel qu’ils apportent aux autres. En liant la production de richesse au mérite, le marché libre est également le seul système qui permet le renouvellement des élites et constitue le véritable ascenseur social pour les individus. Les règles sont claires et l’issue est véritablement juste.
Un héritage à faire fructifier ne sous-entend pas l’immobilisme du capital, car le marché et le progrès sont des processus sans cesse changeants. Celui qui, par le travail, souhaite fonder sa propre dynastie familiale doit également pouvoir le faire. Il le fera d’autant mieux s’il sait que l’intégralité des fruits de son travail sera transmis. Les effets incitatifs ne sont pas les mêmes, mais les individus ne sont pas les mêmes non plus. Il n’y a pas à régenter qui reçoit quoi, qui fait quoi. Laissez-faire.
C’est ici que l’on voit l’erreur fondamentale de ceux qui prétendent que “si les libéraux défendent le mérite, alors ils devraient être pour la fin de l’héritage.” Pour le collectiviste, combattre le mérite individuel est une évidence, car cela révèle que les individus sont inégaux en aptitudes, intelligence et productivité, et c’est précisément pourquoi ils combattent l’héritage, qui n’est rien d’autre que la matérialisation intergénérationnelle de cette réalité. Ils refusent d’admettre que le marché libre, précisément parce qu’il permet l’héritage, crée une dynamique où le mérite se renouvelle constamment, où les fortunes se font et se défont selon la capacité réelle des individus à servir leurs semblables.
Défendre l’héritage, c’est défendre l’avenir
L’héritage n’est pas un privilège tombé du ciel. C’est le fruit d’un travail, d’une épargne, d’un sacrifice de consommation immédiate au profit des générations futures. C’est le lien tangible qui unit le passé, le présent et l’avenir d’une civilisation. En s’attaquant à l’héritage, ces collectivistes ne s’attaquent pas seulement à une catégorie sociale privilégiée. Ils sapent le mécanisme même qui permet à une société de progresser, de capitaliser sur les acquis du passé pour construire un avenir meilleur.



