L'Executive Order 6102, une menace pour Bitcoin ?
Avec les ETF Bitcoin et la récente interview de Michael Saylor avec Madison Reidy, on entend souvent parler de l’Executive Order 6102 et du risque de saisie de ces actifs par le gouvernement américain. Qu’est-ce que l’Executive Order 6102 et un tel scénario est-il vraiment possible aujourd’hui ? Je vous propose de plonger dans l’histoire de ce décret controversé et de voir comment celui-ci a été rendu possible dans un pays où les droits de propriété sont sacro-saints.
Rappel historique
Tout au long du 20ᵉ siècle, l’étalon-or a connu quelques épisodes mouvementés. L’un d’entre eux a particulièrement marqué les esprits : l’Executive Order 6102. En 1933, l’administration américaine, sous la présidence de Franklin D. Roosevelt, décide d’interdire aux Américains de posséder de l’or. Ces derniers doivent alors, sous peine d’amendes et d’emprisonnement, vendre leur or au gouvernement fédéral.
Les Américains ayant stocké leur or dans une banque n’ont pas eu le choix. Les autres ont quant à eux eu la possibilité de se dérober à cette obligation. Le gouvernement rachète ainsi l’or de ses citoyens selon la parité en cours. Une fois l’opération terminée, l’once d’or a été réévaluée de 20.67$ à 35$ un an plus tard avec le Gold Reserve Act de 1934, soit une hausse de 75% du prix de l’once et une dévaluation aussi importante de la valeur de la monnaie. Cette saisie avait pour premier objectif de permettre à la banque centrale (FED) d’imprimer de la monnaie supplémentaire, alors que le pays sortait encore péniblement de la récession de 1929.
A cette époque, la FED avait atteint sa capacité de crédit admissible, il fallait agir pour continuer la mise en œuvre d'une politique de dépense budgétaire. Ces deux mesures ont permis aux États-Unis d’éviter le défaut, le tout au prix d’une manœuvre controversée pour une démocratie libérale qui n’ hésite pas à fouler du pied les droits de propriété des citoyens. Afin de comprendre pourquoi cela a été possible, il faut comprendre le contexte dans lequel l’Amérique se trouvait en 1933. Les effets de la crise de 1929 sont encore palpables et le pouvoir important gagné par l’administration Roosevelt suite au New Deal de 1933 donne au gouvernement fédéral une importance inédite dans l’histoire américaine.
Un exemple de ce pouvoir anormalement important dont jouissait l’administration Roosevelt réside dans le fait que le décret confiscatoire 6102 fut pris en vertu du “Trading with the Enemy Act” de 1917, qui a été modifié ensuite par l'”Emergency Banking Act” de 1933 afin de répondre rapidement à la récession de 1929. Cet act confère au président des pouvoirs plus vastes en cas d'urgence nationale. Après 1929, la notion d’urgence nationale a simplement été étendue de la guerre aux crises économiques.
Il est important de souligner ici que les citoyens américains n’avaient pas d’autres choix que de donner leur or au gouvernement et ce dans un délai extrêmement court d’un mois suivant la publication du décret. Passé ces délais, les peines encourues étaient sévères : une amende maximale de 10 000$ (240 000$ en 2024) et une peine d'emprisonnement maximale de 10 ans. Il faut également rappeler ce point puisque dans sa dernière interview, Michael Saylor a déclaré que les américains ont volontairement abandonné leur or au gouvernement, ce qui est faux. Nous sommes bien face à une action de saisie qui n’a pas reçu le consentement de la population… La meilleure preuve étant que seulement 20% à 25% de l’or détenu directement par les citoyens, environ 95 tonnes, a été cédé au gouvernement.
Cependant, cette opération est un peu plus compliquée qu'il n'y paraît ; au regard de la loi, le gouvernement américain n'a pas saisi l'or de ses citoyens. Il l'a simplement “échangé”.
Un vol dans les faits, un rachat selon la loi
La Constitution américaine contient plusieurs dispositions qui protègent les droits de propriété. C’est le cas des dix premiers amendements, le Bill of Rights, qui protègent chacun à leur manière les droits de propriété des américains. Le 5ème amendement est certainement le plus important. Celui-ci interdit au gouvernement de s'approprier la propriété d’un citoyen sans juste compensation (point essentiel ici). De plus, il faut noter que la Constitution prévoit des dispositions interdisant aux États de modifier les obligations contractuelles de manière opportuniste, rendant les saisies difficiles, voire impossibles. En règle générale, la Constitution forme un ensemble d’amendements cohérents et biens pensés permettant de défendre au maximum les droits de propriété des individus contre les saisies arbitraires d’un gouvernement despotique.
Malgré ces garanties constitutionnelles, l’Executive Order 6102 a tout de même été promulgué, pour une raison au final assez simple : l’or avait cours légal aux États-Unis en tant que monnaie. En 1933, nous étions toujours sous le Gold Exchange Standard, un système dans lequel le dollar et l’once d’or pouvaient être échangés à valeur fixe : c’est la parité, fixée à $20.67 pour une once d’or. De ce fait, l’Executive Order 6102 n'a pas été considéré comme une confiscation de biens, mais plutôt comme un “échange juste et équitable” de l’or contre son équivalent en dollars. Officiellement il n’y avait aucun problème, le dollar était pleinement adossé à l’or et le nombre de substituts en circulation correspondait bel et bien aux réserves réelles d’or détenues par la banque centrale.
D'un point de vue juridique, les citoyens n'ont donc rien perdu et n’ont pas été spoliés si leur or a été acheté à 20,67 dollars l'once par le gouvernement. Dans le cas contraire, si l’or n’avait pas eu cours légal, un tel décret n'aurait pas été adopté par le Congrès car totalement contraire à la Constitution.
Ces points essentiels ont été rappelés par la Cour Suprême dans l’affaire “Norman c. Baltimore & Ohio R.R. Co., Nortz c. United States et Perry c. United States”. Cette jurisprudence confirme la capacité du gouvernement à réglementer la valeur de la monnaie et, au besoin, à annuler les obligations contractuelles concernant l’or. Finalement, même si cette affaire portait davantage sur le pouvoir du gouvernement d'abroger les clauses contractuelles relatives à l'or, elle a créé un précédent qui a permis ensuite au pouvoir de saisir l’or des citoyens et de valider la légalité de l'Executive Order 6102
On joue sur les mots bien entendu, mais cette loi de 1933 s’inscrit dans un cadre légal subtil et complexe très différent des saisies autoritaires ayant eu lieu à la même période, pendant la guerre civile espagnole (1936) et plus tard pendant la deuxième guerre mondiale en Italie (1943) et au Japon (1943). En résumé, c’est la combinaison des pouvoirs d'urgence (Emergency Banking Act), l'octroi de compensations prévu par le 5ème amendement, le statut de monnaie de l’or et les décisions de justice de la Cour Suprême soutenant la mainmise du gouvernement sur la question monétaire qui ont contribué à établir le fondement juridique de ce décret confiscatoire.
Un 6102 est-il possible aujourd’hui avec Bitcoin ?
Paradoxalement, ce cadre très particulier qui a permis l’Executive Order 6102 durant l’administration Roosevelt est également la raison pour laquelle un tel scénario est peu probable aujourd'hui avec Bitcoin. Pourquoi ? Premièrement, parce que Bitcoin n'a pas cours légal aux États-Unis et qu’il serait impossible pour le gouvernement de compenser équitablement les citoyens spoliés sans simultanément mettre en péril le dollar. En effet, il est impossible d’instaurer une parité stable entre le fiat et Bitcoin, un cours forcé, même si le fiat est partiellement adossé à Bitcoin. Contrairement à l’or, Bitcoin est un marché extrêmement liquide ; il est échangé 24/7, son ledger est public et son cours commercial échappe totalement aux manipulations et au contrôle d’une autorité centralisée, qu’il s’agisse de la Banque centrale ou du gouvernement. Un cours légal fixe, c'est -à -dire un contrôle des prix sur la monnaie via un cours forcé entre Bitcoin et le fiat, est impossible à mettre en place par un état nation.
De ce fait, si le gouvernement américain décide de saisir tous les bitcoins des citoyens américains, il devra les racheter à leur valeur marchande réelle et non à un prix légal fixe arbitraire. C’est le seul moyen en effet de respecter le 5ème amendement de la Constitution et la “juste compensation” qu’il prévoit. Il n’est pas difficile d’imaginer qu’un rachat global détruirait le dollar par la même occasion. Dans cet exercice de pensée, la planche à billets pourra difficilement suivre l'augmentation du prix de Bitcoin au cours de cette “attaque”. Et si le gouvernement changeait les règles entre-temps ? Comme nous l’avons vu avec l’exemple de l’Executive Order 6102, les clauses contractuelles peuvent être modifiées uniquement si le bien en question est une monnaie marchandise ayant cours légal dans le pays… Ce qui dans le présent exercice de pensée n’est pas le cas.
Le seul scénario plausible est celui d’une dérive totalitaire sans précédent aux États-Unis. L’impact d’un tel virage politique signerait de facto la fin de l'exceptionnalisme américain, dont les fondements reposent en grande partie sur la Constitution, ce texte Sacro-Saint. Mais tout peut changer, il y a quelques semaines, le démocrate John Kerry émettait le souhait de modifier la Constitution et le 1er amendement afin de modérer (comprendre censurer) la liberté d’expression et ainsi ne pas perdre le contrôle sur le narratif politique. Une idée ensuite reprise par Kamala Harris, candidate à la présidentielle. C’est également le cas du 2ème amendement qui est lui aussi attaqué depuis plusieurs années.
Si de telles idées sont évoquées, c’est qu’elles prennent corps chez certains politiciens américains, essentiellement chez les démocrates. Une telle dérive du système américain est-elle possible ? La réponse est malheureusement oui et la probabilité d'un tel scénario augmentera à mesure que le système Fiat approchera de sa fin.