Le sens des mots et des concepts pour le socialiste et le libertarien
Les brèves interventions de la députée socialiste européenne Chloé Ridel dans l’émission C ce Soir ont fait couler beaucoup d’encre sur X. Tour d’horizon et rappel des bases et des définitions.
Les brèves interventions de la députée socialiste européenne Chloé Ridel dans l’émission C ce Soir ont fait couler beaucoup d’encre sur X. Surtout en ce qui concerne l’inversion totale des concepts et la perversion des mots qu’elle a utilisés pour critiquer à la fois Musk, Trump et sa vision fantasmée d’un libertarianisme pourfendeur des libertés individuelles. Tour d’horizon de ces passages quasi-orwelliens et rappel des bases et des définitions.
La définition du libertarianisme
“Le logiciel libertarien de Musk menace la démocratie, il fait fi de l’état de droit et de tout ce qui concerne les libertés individuelles” Quand vous pensez à la privatisation des services publics et la réduction de l’Etat au minimum, vous perdez le contrôle démocratique sur tout un pan de votre vie”. Chloé Ridel
Que dire face à cela si ce n’est que le libertarianisme dont elle accuse (à tort) Elon Musk est précisément la défense acharnée des libertés individuelles contre sa plus grande menace, l'omniprésence et l'omnipotence de l’État. Pour les penseurs autrichiens et libertariens, c’est bien la présence excessive de l’État dans la vie des individus qui entrave leur capacité à exercer un véritable contrôle sur leur propre existence. C’est la fameuse citation de Hayek, “Plus l'État planifie, plus la planification devient difficile pour l'individu.” Autre idée reçue, en réduisant l'État au minimum nous ne perdons pas le "contrôle démocratique sur nos vies" comme Mme Ridel le pense. Au contraire, nous l'augmentons car nous pouvons plus facilement organiser individuellement nos vies. De ce fait, la décentralisation à l’extrême vers l’individu du processus décisionnaire sera toujours supérieure à la centralisation de ce processus.
Sur le progrès technique et technologique
“On a perdu un pan de contrôle sur nos vies, par exemple dans La Silicon Valley contrôle de cours du progrès technique. Les dizaines de milliards d’euros qu’ils mettent dans la recherche et le développement… ils contrôlent le cours du progrès technique à travers le monde.” Chloé Ridel
L’idée importante à retenir ici est que le progrès technique et technologique ne peut pas être légiféré ni décrété par la puissance publique. Il s'agit d'un processus quotidien qui émane du marché et est propulsé par l'initiative individuelle et l'innovation entrepreneuriale. Les pouvoirs publics sont incapables d'innover et de planifier le progrès. Toute tentative en ce sens est vouée à l'échec et creuserait le retard immense de la société.
Comme l’écrivait Ludwig von Mises, selon lui les quatre prérequis au progrès sont "Les épargnants, les scientifiques-inventeurs et les entrepreneurs, opérant dans une économie de marché." La puissance publique ne produisant rien, n’inventant rien et ne pouvant rien entreprendre ne peut pas être à l’initiative du progrès.
Les forces du progrès se trouvent toujours du côté du secteur privé. Pour l’économiste Joseph Schumpeter, par exemple, l'entrepreneur est une force exogène de déséquilibre qui vient rompre, détruire l'ordre établi afin de révolutionner la manière dont le capital est utilisé et distribué dans le système productif. "Le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais apparaît à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à le ruiner.". Pour des économistes autrichiens comme Israel Kirzner, l'entrepreneur est au contraire une force endogène et d'équilibre présente depuis le début dans le marché. Il complète et diffuse des informations déjà existantes, jusqu’ici inconnues et non exploitées par l’ensemble des autres agents économiques.
Dans les deux cas, il est évident que les forces du progrès émergent en dehors des structures centralisées et ne peuvent s’exprimer pleinement que dans le cadre d’une économie de marché libre.
La démocratie et le marché libre
“Il n’y a pas discussion démocratique autour de ce que devrait être le progrès technique parce que c’est l’argent qui contrôle le progrès technologique. On pourrait penser qu’il faudrait mettre des centaines de milliards dans la sobriété énergétique, et bah non, on les met sur Neuralink, on les met sur envoyer des fusées sur Mars.” Chloé Ridel
Face à ces poncifs nous pouvons simplement dire que le "progrès technique" se décide déjà démocratiquement sur le marché libre. Les agents économiques, en décidant ou non de consommer, valident ou non "le progrès" que leur propose l'armée d'entrepreneurs qui livrent une guerre incessante pour servir au mieux les consommateurs. Chaque décision d'achat ou de non-achat, chaque euro dépensé, est un vote pour le consommateur. C'est cette idée de “référendum quotidien” que Ludwig von Mises développe dans son œuvre majeure l’Action Humaine, qui valide ou sanctionne les choix d'allocation du capital des entrepreneurs.
Dans le cas des entreprises d’Elon Musk, comme Tesla, SpaceX et Neuralink, il est certain que ces projets ne verraient pas le jour et ne seraient pas viables économiques s’il n’y avait pas sur le marché une demande pour de tels produits. Qui pourrait remettre en cause le succès de Tesla ? Qui pourrait douter un instant de la proposition de valeur immense qu’apporte SpaceX pour l’avenir de l’humanité ?
Si vous croyez au marché libre, vous croyez en une forme de démocratie supérieure à la “démocratie politique”. Le vote a lieu tous les jours et chaque voix, pour ou contre, compte.
Le fantasme du contrôle
“Musk fait ce qui lui plait. Il y a une destruction du commun et de la démocratie, vous ne pouvez plus rien contrôler. C’est le règne de l’argent, et non plus de l’intérêt général.” Chloé Ridel
“L'argent ne contrôle donc pas le progrès”, car ce sont les consommateurs qui contrôlent le progrès en validant ou non l'utilisation que les entrepreneurs font de leur argent. Ainsi, “l'intérêt général” est toujours mieux défendu en laissant la multitude choisir librement quelle route emprunter vers le progrès. C'est là toute la différence entre la route planifiée vers le chaos, le fameux contrôle nécessaire des incitations économiques dont parle Chloé Ridel, et la route vers la liberté et l'amélioration continue des conditions de vie des individus.
Il faut lire le livre “Planned Chaos” de Ludwig von Mises pour comprendre toute l'ampleur du drame que pose l'interventionnisme et la soif de contrôle de l'autorité sur le processus économique. Il s’agit, pour reprendre les termes de l'auteur, d’un chaos planifié.
“Le dilemme ne se situe pas entre les forces automatiques et l'action planifiée. Il s'agit d'un dilemme entre, d'une part, le processus démocratique du marché dans lequel chaque individu a sa part, et, d'autre part, le pouvoir exclusif d'un organe dictatorial. Tout ce que les gens font dans l'économie de marché, c'est mettre en œuvre leurs propres plans. En ce sens, toute action humaine est une planification. Ce que préconisent ceux qui s'appellent eux-mêmes planificateurs, ce n'est pas de remplacer l'action planifiée par le laisser-aller. Il s'agit plutôt de substituer le plan du planificateur aux plans de ses semblables. Le planificateur est un dictateur en puissance qui veut priver tous les autres hommes du pouvoir de planifier et d'agir selon leurs propres plans. Il ne vise qu'une chose : l'éminence absolue et exclusive de son propre plan.”
L’intérêt général, un mot dévoyé
La notion même d'intérêt général est aujourd'hui dévoyée et ne désigne essentiellement que la seule définition d'un intérêt général collectif, souvent créé, permis et défendable uniquement par la force publique. Selon cette définition, l'intérêt général se limite à ce qui bénéficie au collectif, c'est-à-dire à cette masse mal définie d'individus qui peuple une juridiction territoriale. Si nous revenons aux anciens débats entre les libéraux et les radicaux français du 19ème siècle, nous pouvons au contraire remarquer qu’il existe deux définitions bien différentes de “l’intérêt général”. Pour les radicaux, il est issu de l'État, il est nécessairement collectif et étatique. Pour les libéraux français "l'intérêt général" résidait plutôt dans le maintien des solidarités traditionnelles et était mieux défendu en garantissant et protégeant les intérêts individuels, les libertés individuelles et la propriété privée.