Le rôle essentiel des intermédiaires
Frédéric Bastiat évoquait déjà dans son essai “Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas” la profonde incompréhension qui régnait à son époque concernant le rôle des intermédiaires.
Dans cette publication, je vous propose une introduction rapide à l’économie sur le rôle des intermédiaires, tels que les commerçants, les distributeurs ou les négociants, dans le marché. Loin d’être de simples profiteurs, ils occupent des rôles essentiels dans la grande division du travail. Sans eux, l’ensemble de la société ne pourrait pas fonctionner.
Frédéric Bastiat évoquait déjà dans son essai “Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas” (chapitre 6 – Les intermédiaires) la profonde incompréhension qui régnait à son époque, notamment chez les socialistes, concernant le rôle des intermédiaires. Ils étaient régulièrement qualifiés de profiteurs et de spéculateurs, et certains socialistes appelaient même à la suppression de ces métiers, « accusés de s’interposer entre la production et la consommation pour les rançonner toutes deux, sans leur rendre aucune valeur », au profit d’une organisation publique et collective de la gestion et de la distribution des ressources dans l’économie.
Les alternatives aux intermédiaires
« Quand l’estomac qui a faim est à Paris et que le blé qui peut le satisfaire est à Odessa, la souffrance ne peut cesser que le blé ne se rapproche de l’estomac. Il y a trois moyens pour que ce rapprochement s’opère : 1° Les hommes affamés peuvent aller eux-mêmes chercher le blé ; 2° ils peuvent s’en remettre à ceux qui font ce métier ; 3° ils peuvent se cotiser et charger des fonctionnaires publics de l’opération. »
Comme le décrit parfaitement Bastiat dans ce chapitre, il est tout à fait évident que la première option n’est jamais celle sélectionnée par les individus, tout simplement parce qu’ils n’en ont ni le temps, ni les moyens, ni les connaissances nécessaires pour savoir où se trouve le blé le moins cher, le plus qualitatif et le plus facilement transportable sur le marché international. « Que trente-six millions de citoyens partent pour aller chercher à Odessa le blé dont ils ont besoin, cela est évidemment inexécutable. »
Il reste alors deux options : laisser le marché s’occuper de cette mission ou la confier à l’État, c’est-à-dire à des fonctionnaires pour qui la réalité du calcul économique, celle des profits et des pertes, n’existe tout simplement pas. Laisser le gouvernement s’occuper de cette tâche mènerait inévitablement à la catastrophe. Selon Bastiat, cela nécessiterait des hausses d’impôts colossales et l’embauche d’un grand nombre de fonctionnaires pour faire fonctionner une telle entreprise.
Fidèle à sa pensée, il n’oublie pas de mentionner deux problèmes « invisibles » qui émergeraient d’une telle organisation : la corruption, les injustices, les abus et l’appauvrissement de la population. Cette dernière ne pourrait en effet pas faire d’usages alternatifs et plus productifs de son capital, et devrait compter sur une organisation de distribution des ressources sous-optimale, car non guidée par l’intérêt personnel et la recherche de profits.
Enfin, il pointe du doigt l’impossibilité pour l’état de gérer l’ensemble de l’information nécessaire à la distribution de blé pour un pays, la France, peuplée de 36 millions de personnes dans les 1840. « Ils ne prennent pas garde que la société, sous un régime libre, est une association véritable, bien supérieure à toutes celles qui sortent de leur féconde imagination. » Sur ces derniers points, Bastiat un économiste précurseur qui, un siècle avant Ludwig von Mises et Friedrich Hayek, critiquait déjà le socialisme les dangers de la centralisation des décisions économiques sur des bases logiques en pointant du doigt l’impossibilité d’un calcul économique du fait de la dispersion des connaissances dans la société.
Le rôle des intermédiaires, ce qu’on ne voit pas
Reste donc la seconde options, laisser les individus s’organiser entre eux, librement, en suivant la liberté des transaction cher à Bastiat.
« En tout temps, en tout pays, et d’autant plus qu’ils sont plus libres, plus éclairés, plus expérimentés, les hommes ayant volontairement choisi le second, j’avoue que cela suffit pour mettre, à mes yeux, la présomption de ce côté. Mon esprit se refuse à admettre que l’humanité en masse se trompe sur un point qui la touche de si près. »
Sur le marché libre, les intermédiaires facilitent les échanges et les services aux consommateurs en assurant les étapes intermédiaires de la distribution que ces derniers ne peuvent pas effectuer eux-mêmes.
Oui, l’intermédiaire est payé, parfois même très cher. Leur rémunération reflète simplement leur contribution concrète en termes de services. Autrement dit, quand on achète un bien de consommation, on paie le travail que l’intermédiaire a effectué « à notre place » : achat auprès des producteurs, investissement en capital (transports, logistique, stockage), en temps et en travail, ainsi que le risque associé à ces activités. En vérité, comme l’écrit Bastiat, « le consommateur est obligé de rembourser au commerce ses frais engagés ». Des frais qui sont toujours des avances auxquelles consent l’entrepreneur sur la rentabilité future qu’il projette pour son entreprise.
« Le commerce, dis-je, est porté, par intérêt, à étudier les saisons, à constater jour par jour l’état des récoltes, à recevoir des informations de tous les points du globe, à prévoir les besoins, à se précautionner d’avance. »
Les intermédiaires sont des éléments clés de la division du travail sur le marché. En se spécialisant dans l’intermédiation entre producteurs et consommateurs, ils permettent aux premiers de se concentrer sur leur culture et leur production, et aux seconds de se consacrer à d’autres activités. Comme toujours, la division du travail permet de libérer le temps et l’énergie des individus. Ces investissements et ces détours de production de plus en plus complexes permettent d’enrichir continuellement les individus. Cette « harmonie sociale » chère à Bastiat sous-entend trois choses : la liberté des transactions, la propriété et le respect des individualités.
« Si l’intérêt les porte [les intermédiaires] invinciblement à remplir leur tâche aux moindres frais, la concurrence qu’ils se font entre eux les porte non moins invinciblement à faire profiter les consommateurs de toutes les économies réalisées. »
Dans ce chapitre de Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, Bastiat rappelle enfin que c’est ensuite aux intermédiaires, par le jeu de la concurrence, de proposer les services les plus qualitatifs et les moins chers. Les intermédiaires sont un élément essentiel de la division du travail dans un marché libre et de la coordination entre les individus. Ils sont les coordonnateurs invisibles qui permettent à chacun de poursuivre ses propres objectifs sans à devoir se soucier et à perdre du temps dans des activités où ils n’apporteraient pas de valeur ajoutée.
Le profit des intermédiaire est donc normal, car leur « services portent en eux le principe de la rémunération. ». Cette rémunération qu’évoque Bastiat n’est rien d’autre que la récompense de leur utilité sociale. La concurrence veille à ce que cette récompense reste proportionnée à l’utilité du service rendu pour l’individu, selon la vision pure de Bastiat de la valeur, telle qu’il la développe dans les Harmonies économiques.



