J.B. Say : "Comment la division du travail multiplie les produits et les perfectionne."
Dans son “Traité d’économie politique” Jean-Baptiste Say (1767-1832) reprend l’exemple des épingles d’Adam Smith pour expliquer l’avantage de la division du travail pour la productivité & l’innovation
Dans son “Traité d’économie politique” (1803) Jean-Baptiste Say (1767-1832) reprend l’exemple des épingles d’Adam Smith pour expliquer l’avantage de la division du travail pour la productivité et l’innovation. Un écrit vieux de plus de 200 ans qui démontre tout l’intérêt du partage spontané du travail afin de maximiser l’utilisation du temps humain et d’améliorer ainsi les conditions de vie des individus.
Il explique également très bien que cette division du travail s’accompagne nécessairement d’une spécialisation des compétences qui permet à certains membres de la société de poursuivre la quête de la connaissance dans des domaines pointus et très spécifiques. Le tout, bien entendu, au bénéfice de tous.
Chapitre X : Comment la division du travail multiplie les produits et les perfectionne.
Nous avons déjà remarqué que ce n’était pas ordinairement la même personne qui se chargeait des différentes opérations dont l’ensemble compose une même industrie. Ces opérations exigent pour la plupart des talents divers, et des travaux assez considérables pour occuper un homme tout entier. Il est même de ces opérations qui se partage en plusieurs branches, dont une seule suffit pour occuper tout le temps et toute l’attention d’une personne. C’est ainsi que l’étude de la nature se partage entre le chimiste, le botaniste, l’astronome et plusieurs autres classes de savants. C’est ainsi que lorsqu’il s’agit de l’application des connaissances de l’homme à ses besoins, dans l’industrie manufacturière par exemple, les étoffes, les faïences, les meubles, les quincailleries, etc. nous offrent des produits qui occupent autant de différentes classes de fabricants.
Enfin dans le travail manuel de chaque industrie il y a souvent autant de classes d’ouvriers qu’il y a de travaux différents. Pour faire le drap de mon habit, il a fallu occuper des fileuses, des tisseurs, des fouleurs, des tondeurs, des teinturiers et plusieurs autres sortes d’ouvriers. Le célèbre Adam Smith a le premier fait remarquer que nous devions à cette division du travail une augmentation prodigieuse dans la production et une plus grande perfection dans les produits.
Il cite, comme un exemple entre beaucoup d’autres, la fabrication des épingles. Chacun des ouvriers qui s’occupent de ce travail ne fait jamais qu’une partie d’une épingle. L’un passe le laiton à la filière, un autre le coupe, un troisième aiguise les pointes ; la tête seule de l’épingle exige deux ou trois opérations distinctes, exécutées par autant de personnes différentes.
Au moyen de cette séparation d’occupations diverses, une manu- facture assez mal montée, et où dix ouvriers seulement travaillaient, fabriquait chaque jour, au rapport de Smith, quarante-huit mille épingles. Si chacun de ces dix ouvriers avait été obligé de faire des épingles les unes après les autres, en commençant par la première opération et en finissant par la dernière, il n’en aurait peut-être terminé que vingt dans un jour ; et les dix ouvriers n’en auraient fait que deux cents au lieu de quarante-huit mille.
Smith attribue ce prodigieux effet à trois causes.
Première cause. L’esprit et le corps acquièrent une habileté singulière dans les occupations simples et souvent répétées. Dans de certaines fabrications, la rapidité avec laquelle sont exécutées de certaines opérations, passe tout ce qu’on peut attendre de la dextérité de l’homme.
Deuxième cause. On évite le temps perdu à passer d’une occupation à une autre, et cette perte est beaucoup plus grande qu’on ne serait tenté de le croire. Chaque fois qu’on entame une besogne nouvelle, il faut du temps pour se mettre en train ; il faut donner à ce qu’on fait une plus grande dose d’attention, et l’esprit n’est pas moins paresseux que le corps. Il y a des préparations qui exigent de grands déplacements, comme de passer d’un atelier dans un autre, ou du bord d’une rivière à l’intérieur d’une maison ; enfin n’y a-t-il pas même du temps perdu à changer fréquemment de position, à quitter un outil pour prendre un outil différent ?
Troisième cause. C’est la séparation des occupations qui a fait découvrir les meilleures méthodes, soit pour acquérir des connaissances, soit pour les communiquer. C’est elle qui a donné naissance aux machines qui facilitent et abrègent tant le travail de l’homme. naturellement réduit chaque opération à une tâche fort simple et sans cesse répétée ; or ce sont de pareilles tâches qu’on parvient plus aisément à faire exécuter par des machines.
Les hommes d’ailleurs trouvent bien mieux les manières d’atteindre un certain but, lorsque ce but est proche et que leur attention est constamment tournée du même côté. Dans les premières pompes à feu qu’on établit, c’était l’occupation d’une personne d’ouvrir le robinet d’eau froide qui sert à condenser la vapeur lorsque le piston est suffisamment soulevé.
Cet emploi était confié à un jeune garçon. Un jour un de ces jeunes gens, tourmenté du désir d’aller jouer avec ses camarades, s’aperçut qu’il suffirait, pour que le robinet s’ouvrît et se fermât, d’attacher au manche qu’on lui avait donné à gouverner, une ficelle qui répondît au bras du piston. Dès lors le piston par son mouvement remplit les fonctions d’une personne, et l’un des plus utiles perfectionnements de cette belle machine fut dû à l’envie qu’avait un enfant de se divertir.
La plupart des découvertes même que les savants ont faites doivent être attribuées à la division du travail, puisque c’est par une suite de cette division que des hommes se sont occupés à étudier de certaines branches de connaissances exclusivement à toutes les autres ; ce qui leur a permis de les suivre beaucoup plus loin. Entre leurs découvertes il en est un grand nombre sans doute dont on n’a l’obligation qu’au hasard ; il n’est pas moins vrai de dire qu’en thèse générale les connaissances nécessaires à la production sont d’autant plus parfaites et d’autant plus étendues, qu’on s’en occupé avec plus de soin ; et l’on s’en occupe avec d’autant plus de soin, qu’on s’en occupe plus exclusivement.