Javier Milei, fruit d'une Argentine ruinée par l'inflation
Le 19 novembre dernier, Javier Milei accède à la présidence de l'Argentine. Ce libertarien n'est rien d'autre que la conséquence logique d'un pays détruit par les politiques inflationnistes.
Dans un précédent article, nous faisions le point sur une conférence donnée par Ludwig von Mises à un parterre d’étudiants argentins en 1958. À cette époque, le pays sortait tout juste du régime Péroniste, un régime marqué par les nationalisations d’entreprises et les aides massives d'État. Depuis cette date, l’Argentine a connu plusieurs décennies d’épisodes fortement inflationnistes qui, à plusieurs reprises, ont causé la ruine économique du pays. En 1975, alors en récession, les gouvernants argentins font le choix de l’inflation pour maintenir l’économie à flot. Le résultat est désastreux avec une inflation annuelle qui ne descendra jamais sous 100% entre 1975 et 1990 et une baisse de 22% du PIB sur la même période. En 1991, à la recherche d’une stabilité monétaire, est prise la décision d'instaurer la parité entre le Peso argentin sur le Dollar américain, c’est la mise en place du Currency Board (caisse d’émission), méthode visant à ancrer la valeur d’une devise sur une autre.
La crise économique argentine de 2001
La solution apportera une accalmie de courte durée. En 1998, l’Argentine connaît une nouvelle crise majeure quand le Brésil dévalue soudainement et massivement sa monnaie. Le Peso, trop fort, ne peut pas rivaliser à l’exportation. Pire, sa parité avec le Dollar américain empêche sa dévaluation et l’absence de planche à billet paralyse le gouvernement qui se retrouve impuissant face à une situation inédite d’une monnaie trop forte impossible à dévaluer. Les entreprises n’exportent plus, l’économie se paralyse, le chômage explose.
La situation devient telle que des monnaies régionales et locales apparaissent, comme le Patacon dans la région de Buenos Aires, pour offrir à la population un intermédiaire d’échange viable pour la vie de tous les jours. Ces initiatives donnèrent naissance à un système monétaire alternatif constellé d’une multitude de cercles d’échange, par ville, des fois même par quartier. En 2001, ce n’est pas moins de 200 monnaies différentes qui cohabitent en Argentine en parallèle du système officiel du Currency Board, toujours en place malgré la crise économique. La population trouve malgré tout une utilité au Peso argentin, cette monnaie forte, indexée sur le dollar et peu utilisée : celle d’un refuge pour l’épargne face à l’incertitude économique du pays.
Devant cette situation et après un ultime appel à l’aide auprès du FMI, le système finit par s'effondrer quand le gouvernement argentin limite les retraits en Peso et interdit l’envoi de capitaux à l’étranger. Soudainement, le Peso devenait inaccessible à une partie de la population qui l’utilisait comme une garantie sur un futur plus qu’incertain. Devant l’incapacité du gouvernement à faire face à une situation qui s’envenime, le FMI refuse finalement l’aide annoncée, laissant un goût amer à un pays entier. La situation dégénère et crée, en décembre 2001, une série d’émeutes dans plusieurs grandes villes du pays qui causent la mort de 39 personnes et entraîne la démission du président argentin alors en place, Fernando de la Rúa qui au terme des émeutes du s’échapper en hélicoptère de la maison présidentielle, alors assiégé par les manifestants. Cet épisode insurrectionnel, entré dans les mémoires sous le nom de l’Argentinazo, a profondément marqué les argentins et demeure aujourd'hui très présent dans les esprits.
20 ans après l’Argentinazo, un pays toujours en crise.
Après la crise de 2001, plusieurs réformes, dont la fin du Currency Board et une dévaluation de la monnaie, recréent un climat de confiance et une amélioration de la croissance économique. Mais à partir du début des années 2010, l'économie alterne entre croissance faible et périodes de récession du fait d’un retour des politiques inflationnistes et d’un déficit toujours plus important de la balance budgétaire. La situation est erratique et varie d’année en année. En 2018, un risque de défaut sur la dette argentine fait chuter le Peso de 20% en quelques jours. Cette crise, la plus importante depuis 2001, oblige le gouvernement à instaurer un programme d’austérité et à demander l’aide du FMI, vivement critiquée par les argentins qui ont encore à l’esprit l’abandon précipité de l'institution internationale 17 ans plus tôt alors que le pays était au bord du gouffre.
Depuis la crise sanitaire du COVID la situation ne s’est pas améliorée dans le pays. L’inflation explose, le taux de pauvreté atteint 42% en 2020 et le pays souscrit à une nouvelle aide financière auprès du FMI en 2022. La situation est toujours inquiétante aujourd'hui : en 2023 l’inflation atteint 115% sur un an entre août 2022 et 2023, le Peso argentin a quant à lui été dévalué de 20% par la Banque centrale argentine le 14 août dernier.
Un candidat pro-Bitcoin, Javier Milei
“La beauté de cette technologie réside dans sa décentralisation et son autonomie.” Javier Milei
C’est dans ce contexte socio-économique tendu, dans cette longue histoire argentine traditionnellement affligée par les politiques inflationnistes désastreuses, que s’inscrit le candidat libertarien Javier Milei. Celui-ci crée la surprise le 13 août dernier en remportant la primaire obligatoire argentine avec 30% des suffrages exprimés. Présenté tour à tour comme libertarien, anarchiste, anti-système … Il propose la fin de l'interventionnisme étatique, l’abolition de la Banque centrale argentine voire même l’abandon pur et simple au profit d’une autre monnaie. Il critique sévèrement les personnalités politiques, les partis et les syndicats comme étant responsables du mal hyperinflationniste que connaît l’Argentine. Défenseur de la liberté économique, de la propriété privée et des droits individuels, c’est tout naturellement que Milei voit en Bitcoin une porte de sortie pour son pays. Bitcoin est pour le candidat une des solutions envisageables pour régler à la fois l’hyperinflation et le problème de confiance du peuple envers ses élites.
Dans une interview donnée à Tucker Carlson sur la plateforme X, vue plus de 400 millions de fois en quelques jours, Javier Milei détaille plus précisément certains points de sa philosophie politique, très ancrée dans le libertarianisme. Des idées qui résonnent avec les leçons données 65 ans plus tôt à Buenos Aires par Ludwig von Mises sur la prodigalité des gouvernements et leur utilisation excessive de “monnaie miracle”. Nous vous proposons quelques citations sélectionnées permettant d’en apprendre plus sur la vision philosophique et politique de Javier Milei:
“L’idée qu’à chaque besoin correspond un droit est un problème. Il ne peut y avoir un nombre infini de besoins, que quelqu’un devra financer, alors que les ressources sont limitées et finies. Cela crée un conflit entre ressources finies et besoins infinis. Le point de vue libéral face à ce problème est simple : par la liberté économique et le droit à la propriété, un mécanisme naturel se met en place pour solutionner ces difficultés.”
[...] Nous croyons que le libéralisme est le respect inconditionnel de la vie d’autrui, enraciné dans le principe de non-agression, et de la défense de la vie, de la liberté et de la propriété. [...] Le gouvernement ne peut donner de richesses car il n’en produit pas.”
Citant tour à tour Milton Friedman et les différentes œuvres de Friedrich Hayek, dont “Utilisation de la connaissance dans la société” et “Présomption fatale”, Milei critique l’hubris des gouvernants se pensant être les mieux à même pour régler les problèmes de leur pays en intervenant directement dans l’économie. Pour Milei, un gouvernement se pensant plus intelligent et compétent que la multitude des individus composant la société pour coordonner et planifier l’économie se prend de fait pour Dieu car “il se croit omniscient, omniprésent et omnipotent en toute chose”. Mises avait lui utilisé lors de sa conférence à Buenos Aires en 1958 l’image de Van Gogh, qui, dans une économie planifiée, aurait été envoyé, au mieux travailler dans une fromagerie, au pire à l’asile, afin de critiquer la prétendue “sagesse, talents et dons des individus composant l’autorité suprême”.
Depuis cette interview donnée le 15 septembre 2023 le premier tour de l’élection présidentielle a eu lieu, le 22 octobre dernier. Donné favori dans les sondages, Javier Milei arrive finalement en seconde position avec 30% des suffrages exprimés derrière Sergio Massa (36%), ancien ministre de l’économie argentin et présenté comme le candidat “inflationniste” par ses opposants. Aucun des candidats n’ayant remporté la majorité, un second tour sera donc organisé en novembre pour départager les deux hommes. Si Javier Milei est arrivé deuxième, il peut néanmoins compter sur deux soutiens importants dans sa course à la présidentielle : la candidate de la droite traditionnelle Patricia Bullrich, arrivée troisième au premier tour avec 24% des votes, et Mauricio Macri, ancien président argentin de 2015 à 2019. Ce ralliement inattendu a provoqué une onde de choc majeure qui redessine déjà le paysage politique du pays. La dernière ligne droite de l’élection est donc électrique. Le 19 novembre le résultat tombe, Javier Milei est élu président de l’Argentine.
Javier Milei est un homme atypique. Il demeure, à bien des égards, le produit d’une longue histoire émaillée de souffrances causées par des décennies de politiques inflationnistes. Candidat clairement versé dans les idées de Mises, Hayek, Friedman et Rothbard, il est aussi un homme parfois surprenant par les mesures qu’il défend. Quoiqu’il en soit, quatre ans après l’arrivée au pouvoir de Nayib Bukele au Salvador, verrons-nous un nouveau président adopter Bitcoin à la tête d’un pays d’Amérique Latine ?