Inflation, réflexion pour aujourd’hui et pour demain
En 1958, Ludwig von Mises donne une conférence à des étudiants argentins sur l'inflation... Plusieurs décennies plus tard cette leçon est encore bien d'actualité.
Invité à la fin de l’année 1958 par le Centro de Estudios Sobre la Libertad (Centre d’Etudes sur la Liberté) pour donner un cycle de conférences à des étudiants de l’Université de Buenos Aires en Argentine, Ludwig von Mises détaille dans un total de six leçons les grands axes de sa pensée économique. Ces leçons, retrouvées plusieurs années après sa mort par sa femme Margit, ont été retranscrites telles quels dans un livre d’une centaine de pages : Politique Économique, Réflexion pour aujourd’hui et pour demain.
Ouvrage souvent recommandé pour quiconque souhaitant découvrir l’auteur, celui-ci permet de plonger facilement dans la pensée dense de l’économiste, figure de proue de l'École autrichienne et grand critique du keynésianisme.
À quelques semaines du second tour de l’élection présidentielle argentine, le 19 novembre 2023, où le candidat libertarien pro-Bitcoin Javier Milei est encore en course, nous vous proposons un résumé de la quatrième leçon donnée par von Mises, il y a 65 ans, aux étudiants argentins sur l'inflation. Sujet au combien d’actualité pour ce pays où l’inflation a bondi de 120% en un an et dont Bitcoin, cet actif d’une rareté absolue et non manipulable, pourrait être une solution.
Deux fiscalités : Inflation et Imposition
“Le plus important à garder en mémoire, c'est que l'inflation n'est pas un coup du sort, ce n'est pas l'effet d'un cataclysme naturel, ou un fléau épidémique comme la peste. L'inflation est une politique, c'est une opération délibérée de dirigeants.”
Dans ce court chapitre d’une vingtaine de pages, Ludwig von Mises défend l’idée simple, et pourtant souvent difficile à comprendre, que l’inflation est toujours le résultat d’une politique monétaire augmentant la quantité de monnaie en circulation. Elle est considérée par Mises comme une “fiscalité inavouée”. Inavouée car cette augmentation permet au gouvernement de financer des projets, ou de se financer lui-même, sans avoir besoin de recueillir l’avis et l’approbation de la population via le vote d’une nouvelle imposition et l’acceptation de celle-ci. Fiscalité car cette politique de baisse de la valeur monétaire se répercute sur la valeur de l’épargne et des salaires, en pratiquant l’inflation le gouvernement admet que sa politique au détriment du capital détenu par sa population, qui, contrairement à l’impôt, est automatiquement mise à contribution sans le savoir.
Quand Mises donne sa leçon en 1958, les politiques inflationnistes sont déjà pratiquées dans de nombreuses économies mondiales, mais à un degré bien moindre qu’elles le seront à partir de 1971, date marquée par la fin de la convertibilité dollar-or. Jusqu’ici les gouvernements avaient recours à deux solutions pour résoudre leurs problèmes de financement : l’emprunt national et l’impôt. Si le premier reste relativement peu pratiqué, c'est le second, l’impôt, qui forme la base du financement des politiques gouvernementales depuis des siècles. Il forme la base de la relation politique entre gouvernés et gouvernants, via le consentement à l’imposition, accepté par les premiers et la responsabilité qui incombe aux seconds d’en faire bon usage.
Défenseur de l’impôt, Mises utilise volontiers dans cette leçon l’exemple de la construction d’un hôpital, financé uniquement par le contribuable, pour démontrer que le recours à l'impôt est toujours préférable au recours à l’impression monétaire.
“Lorsque le gouvernement prélève les sommes et construit l'hôpital, les citoyens, une fois l'impôt payé, sont obligés de restreindre leur dépense. Le contribuable individuel, lui, est bien forcé de réduire soit sa consommation, soit ses investissements, soit son épargne liquide. Le gouvernement se présentant sur le marché comme acheteur, remplace le citoyen individuel. Dans l'ensemble, il ne se produit pas de hausse des prix consécutivement à la construction d'un hôpital par l'Etat.”
Le citoyen consent à l’impôt, et donc à une baisse temporaire de son niveau de vie, pour investir dans une richesse future. Les capitaux, toujours en nombre équivalent, sont alors réalloués vers d'autres postes de dépenses par le gouvernement. Une hausse d’impôt n'entraînera donc pas de perturbation des prix puisqu'il n’implique pas une augmentation de “monnaie miracle” en circulation dans l’économie. Le citoyen achète tout simplement moins, restreignant ses dépenses, tandis que le gouvernement consomme davantage, pour les besoins de son investissement.
Les gagnants et les perdants de l’inflation
Ce qui importe véritablement pour Mises n’est pas tellement l’utilisation que le gouvernement fait de l’argent, mais comment celui-ci est obtenu. De bons investissements, comme un hôpital, financé par une politique inflationniste auront inévitablement des conséquences néfastes pour la population. Si ces effets ne se font pas sentir immédiatement, l’inflation “se répandra petit à petit, d'un groupe de la population à d'autres” provoquant une inégalité de distribution de la nouvelle monnaie émise couplée à une augmentation, parfois inégale, des prix des produits de consommation.
Mises prend l’exemple, en économie de guerre, d’une inflation permettant l’investissement dans certains secteurs de l’économie, comme l’industrie de l’armement. Cette inflation provoque un afflux de capitaux vers ce secteur. Les salaires y seront plus élevés, plus attractifs et compétitifs, aboutissant à un pouvoir d’achat plus important pour les ouvriers. Celui-ci permettra d’acheter, du moins momentanément, les biens de consommation au prix antérieur du marché, avant que ceux-ci n'augmentent inévitablement. L’inflation favorise donc ceux percevant en premier la nouvelle monnaie créée.
Ce ne sera pas le cas d’autres groupes dans la population, non concernés par la politique inflationniste, qui ne bénéficieront pas immédiatement de la nouvelle monnaie imprimée. Si cette catégorie de la population ne perd pas d’argent, au sens numérique du terme, leur épargne et revenus seront lentement dilués dans la masse monétaire devenue plus importante. Autre effet néfaste de l’inflation : la hausse des prix. “il n 'y a pas en vente plus de choses qu'avant, alors qu'il y a davantage de monnaie offerte, il y aura une demande plus forte pour la même quantité de biens en vente. Par conséquent, les prix auront tendance à monter.”
En somme, la hausse des prix est une conséquence d’une politique inflationniste, non la cause de l’inflation. Les prix montent non pas parce que les produits et biens sont plus chers ou rares mais parce que la valeur de la monnaie baisse.
La responsabilité des dirigeants
“L'inflation est une politique. Et d'une politique, l'on peut changer. Par conséquent, il n'y a pas de raison de s'abandonner à l'inflation. Si l'on considère l'inflation comme un mal, il faut cesser de la provoquer.” Ludwig von Mises
L’inflation étant le résultat d’une politique monétaire, la responsabilité du gouvernement est régulièrement pointée du doigt par Mises. Le pouvoir public, pour se financer, peut faire le choix de l’augmentation de l’impôt ou de l’inflation. L’impôt étant souvent impopulaire, c’est souvent le choix de l’inflation, cette “fiscalité inavouée”, qui est fait. Ce choix, extraordinairement pratique pour le législateur sur le court terme, est désastreux sur le long terme puisqu’il se fait contre la valeur de sa propre monnaie. “À la longue, l'inflation prend fin par l'effondrement de la monnaie légale” qui, graduellement, perd de sa valeur et, soudainement, n’a plus aucune valeur.
“D'un trait de plume, le gouvernement crée de la monnaie par ordre, gonflant ainsi la quantité de monnaie et de crédit. Le gouvernement donne simplement un ordre, et la monnaie-miracle est là.”
Autrichien de naissance, ayant fui le Nazisme, Mises connaît bien les conséquences de l’inflation désastreuse vécue en Allemagne dans les années 1920. Les allemands vécurent entre le début de la première guerre mondiale et les premières années de la République de Weimar sous un régime inflationniste qui dura environ neuf ans. Sur ces neuf années, la valeur du mark tombe de 4 marks pour 1 Dollar à 4 milliards 200 millions de Marks pour 1 Dollar. Durant l’été 1923, l’inflation persistant, la population décida qu’il était plus prudent de se débarrasser le plus rapidement de sa “monnaie miracle” en achetant à tout prix des biens de consommation, quel qu'il soit. Cette fuite massive vers des biens refuges et tangibles entraîna la chute du système monétaire allemand.
“Cela continua en Allemagne exactement jusqu'au 28 Août 1923. Les multitudes avaient vécu dans l'illusion que la monnaie inflationniste était de la vraie monnaie, et découvraient que les choses avaient changé. [...] Cette ultime phase de l'inflation allemande ne dura pas longtemps ; au bout de quelques jours le cauchemar s'acheva: le Mark n'avait plus de valeur, et il fallait établir une nouvelle monnaie légale.”
Comment empêcher une politique inflationniste ?
Face aux gouvernements souvent prompts à utiliser l’inflation, Mises défend dans sa leçon un système monétaire basé sur l’étalon-or. Celui-ci présente le double avantage de limiter l’emprise du gouvernement sur l’économie en instaurant une monnaie non manipulable par ce dernier et le rétablissement, entre la population et le gouvernement, de la réalité de l’exercice du pouvoir : le consentement à l’imposition et son utilisation saine et responsable. Cette “relique barbare”, comme disait Keynes, présente malgré tout plusieurs avantages pour Mises. Le texte sur l’étalon-or est assez court et se suffit à lui même :
“L'étalon-or a pourtant une vertu proprement formidable: la quantité de monnaie disponible, en régime d'étalon-or, est indépendante de la politique des gouvernants et des partis politiques. C'est là son avantage."
C'est concrètement une protection contre les gouvernements prodigues. Si, en système d'étalon-or, le gouvernement est sollicité de dépenser de l'argent pour quelque nouveauté, le ministre des Finances peut dire “Où puis-je trouver cet argent? Dites-moi d'abord comment nous financerons cette dépense supplémentaire.” En système inflationniste, rien n'est plus aisé aux politiciens que de donner ordre aux fonctionnaires chargés de la presse à billets de fournir les sommes nécessaires à leurs projets. En système d'étalon-or, un sain gouvernement a de bien meilleures chances de prévaloir: les responsables peuvent dire aux citoyens et aux politiciens; “Nous ne pouvons pas faire ce que vous souhaitez, à moins d'augmenter les impôts.”
Inversement, dans un climat inflationniste les gens prennent l'habitude de considérer le gouvernement comme une institution aux moyens illimités: l’État (providence), le Gouvernement peuvent faire n'importe quoi. Si par exemple le pays désire un réseau d'autoroutes, il demande au gouvernement de le faire construire. Mais d'où le gouvernement tirera-t-il l'argent ?
En défendant l’étalon-or Mises critique par la même occasion les politiques des gouvernants souvent prompts à recourir à des politiques inflationnistes afin d’en dégager des bénéfices politiques. La possibilité donnée aux gouvernants d’user de moyens illimités quasiment divins, d’être dans le vrai sens du terme un “État Providence”, vient ici rompre la réalité de l’exercice d’un pouvoir politique sain et le lien nécessaire entre un gouvernement et sa population qui se fait sur la base du consentement à l’impôt.
Quand Ludwig von Mises donna ses conférences à un parterre d’étudiants argentins, le pays sortait tout juste du régime Péroniste (1946 - 1955). Un régime marqué par les nationalisations d’entreprises et les aides massives d'État. Depuis la fin des années 1950, l’Argentine a connu plusieurs décennies d’épisodes fortement inflationnistes qui, à plusieurs reprises, ont causé la ruine économique du pays. Dans un prochain article nous ferons le point sur l’histoire économique de ce pays qui symbolise à lui seul les dérives dangereuses des politiques inflationnistes.