Hayek vs Leontief : Le bon et le mauvais économiste
On plonge dans l’histoire fascinante de la relation compliquée et conflictuelle entre Friedrich Hayek et Wassily Leontief.
En parcourant le livre “Hayek’s Nobel: 50 Years On” je suis tombé sur cette anecdote très parlante de la vie de Hayek. Celle-ci témoigne parfaitement du fait que l’essentiel du travail des économistes actuels est avant tout de légitimer l’interventionnisme plutôt que de traiter de l’économie elle-même, c’est-à-dire des individus, de leurs préférences, de leurs actions et interactions. On plonge dans l’histoire de Hayek vs Leontief.
Wassily Leontief est un économiste représentant du courant néoclassique et défenseur d'une forme d'équilibre général dans l'économie. Difficile de faire plus mainstream dans son approche de l’étude de l’économie : il croit en l’approche empirique, statistique et inductive pour expliquer l’économie et se montre en faveur de l’interventionnisme.
Son célèbre modèle entrée-sortie a d'ailleurs été conçu pour permettre aux gouvernements de mieux comprendre les relations entre les différents secteurs de l’économie, afin de planifier et de diriger la production et l’allocation des ressources. Un économiste dont les gouvernements raffolent, car il apporte une caution scientifique à l’interventionnisme de l’État dans l’économie, et donc inévitablement dans la vie des individus.
Peu après avoir reçu le prix Nobel en 1973, Leontief a rejoint un groupe d'universitaires qui réclamait une planification économique pour faire face aux problèmes auxquels les États-Unis étaient confrontés à cette période.
En mars 1974, il rédige un article dans le New York Times au titre évocateur : « Pourquoi la planification est-elle considérée comme une bonne chose pour les individus et les entreprises, mais comme une mauvaise chose pour l'économie nationale ? »
En juillet, il a témoigné devant la Commission économique mixte du Congrès américain. Hayek a dû être stupéfait de voir l'idée de la planification remise au goût du jour dans l'arène publique par un économiste très respecté.
En effet, Hayek et Ludwig von Mises avaient déjà présenté des arguments convaincants dans les années 1920 et 1930 (dans le cadre de la théorie autrichienne des cycles économiques) contre le type de planification que Leontief préconisait alors au gouvernement américain.
Hayek a fini par répondre par un article intitulé “The New Confusion about “Planning”", publié en janvier 1976 dans la revue économique Morgan Guaranty Survey.
Ses critiques à l'égard de Leontief étaient si importantes qu’elles auraient normalement exigé une réponse de la part de l’économiste attaqué. Au lieu de répondre publiquement, Leontief a envoyé une lettre à l'éditeur de la revue dans laquelle il remettait en question les qualifications académiques et scientifiques de Hayek, notant qu'il ne trouvait aucune référence à Hayek dans l'Encyclopédie internationale des sciences sociales.
Il poursuit sans honte en affirmant que « le professeur Hayek peut se prévaloir de la distinction unique d'être le seul lauréat du prix Nobel dont le nom et les contributions ne sont pas mentionnés une seule fois dans l'ouvrage de référence international faisant autorité dans la discipline qu'il représente ».
Cette lettre de Wassily Leontief, datée du 23 février 1976, a été retrouvée dans les collections de Hayek. On sait donc qu'il en a eu connaissance. L’affaire s’arrête là : une attaque dissimulée et indirecte envers Hayek plutôt qu’une réponse publique franche et honnête.
Plusieurs décennies plus tard, en 2009, David Skarbek a examiné quels lauréats du prix Nobel avaient été cités par les autres lauréats en économie dans leurs conférences : les deux premiers de la liste étaient Kenneth Arrow et Hayek. Hayek a obtenu 13 citations, contre 3 pour Leontief.
Une recherche sur Google Scholar en 2014 a révélé que le nombre de citations de Hayek était plus élevé que celui de Leontief. L'article principal de Hayek, “The Use of Knowledge in Society” (1945), a été cité un peu moins de 11 000 fois, tandis que l'ensemble des articles principaux de Leontief n'a reçu que 2 585 citations.
Même chose aujourd’hui, en 2025, en comparant le nombre de mentions sur Academia entre les deux économistes. Wassily Leontief est cité 5 412 fois dans les articles académiques, contre 46 717 fois pour Friedrich Hayek.
Le libéralisme classique et l'économie autrichienne sont indémodables, car ils acceptent l'homme tel qu'il est, et non tel que les économistes souhaiteraient qu'il soit. C'est pour cette raison que nous lirons toujours Bastiat, Mises et Hayek dans 100 ans, et nettement moins Samuelson, Keynes, Leontief et Myrdal.
Je laisse le mot de la fin à Ludwig von Mises, qui avait parfaitement compris cette notion dans son livre Socialisme :
“Je sais très bien que cela peut sembler une gageure de vouloir, aujourd'hui, par une démonstration logique, convaincre les adeptes passionnés de l'idée socialiste de l'absurdité et de la folie de leurs conceptions. Je sais très bien qu'ils ne veulent pas entendre, qu'ils ne veulent pas voir, et surtout, qu'ils ne veulent pas penser, inaccessibles à tout argument. Mais de nouvelles générations grandissent, les yeux ouverts, l'esprit ouvert. Elles considéreront les choses sans partialité ni parti pris, pour agir à bon escient. Ce livre s'adresse à elles.”