Christine Lagarde, le Bien public et la privatisation de la monnaie
Et si le rôle des banques centrales était précisément de détruire ce "bien public" qu’est censée être la monnaie, en l’utilisant comme outil de spoliation légale et arme contre l'intérêt général ?
Lors d’une prise de parole récente au Portugal, Christine Lagarde, directrice de la Banque centrale européenne, a exprimé ses inquiétudes dans une déclaration mettant en garde contre l’émergence des stablecoins, qui pourraient selon elle mener à l’émergence de "nouvelles monnaies privée". Ces stablecoins, des tokens adossés à des monnaies fiat, poseraient un risque significatif non seulement sur la souveraineté des nations mais également un risque conséquent pour le "Bien commun" qu'est la monnaie. Elle appelle donc, en toute logique, à leur régulation au niveau mondial.
Au fil de sa déclaration, on comprend que le risque principal de ces actifs numériques est le succès important qu’ils rencontrent auprès des populations qui y voient des moyens relativement simples de s’exposer aux "moins pires" des monnaies fiat, le dollar américain en tête. Toujours selon Christine Lagarde, le problème est que ce succès sur les marchés cryptos érode l’efficacité des politiques monétaires des banques centrales en réduisant l’argent disponible dans les banques commerciales traditionnelles, mais pas uniquement.
“Je pense que cela risque de saper notre capacité à mener une politique monétaire. Je pense que cela risque d’affaiblir la souveraineté de ces pays, qui deviennent par inadvertance soumis à l’utilisation de ces moyens de paiement, de ces infrastructures de paiement, et réduisent l’argent présumé. [...] Je considère l’argent comme un bien public, et nous-mêmes comme les fonctionnaires chargés de garantir et de protéger ce bien public. Je crains que ce brouillage des frontières ne conduise probablement à une privatisation de l’argent. Je ne pense pas que ce soit le but pour lequel nous avons été nommés pour faire le travail que nous avons, et ce n'est pas bon pour ce bien public qu'est l'argent.”
Un autre point intéressant de la déclaration de Christine Lagarde est qu'elle affirme, tout comme Andrew Bailey, le directeur de la Banque d'Angleterre, que les stablecoins "prétendent" être des monnaies qu’elles ne sont pas. Selon eux, elles ne peuvent pas l’être, car elles ne sont pas émises par la force publique, mais par des entreprises, donc par le marché lui-même.
Le problème réside bien ici, dans cette conception de la monnaie comme "bien public" dont la gestion, la garantie et la protection incombent aux fonctionnaires des banques centrales.
Le bien public
La notion de "bien public" est souvent associée à celle de l’intérêt général. Contrairement à ce que semblent défendre les banquiers centraux, l’intérêt général ne réside pas dans la gestion centralisée et le monopole étatique de la monnaie. Au contraire, toute monnaie contrôlée de manière discrétionnaire par une autorité centrale qui ne rend de compte à personne constitue même un danger pour l’intérêt général.
Définissons d'abord ce que signifie le "bien public". Selon Bastiat, il s'agit de tout ce qui est antérieur et supérieur à toute législation humaine : la liberté, la propriété et la "personnalité", c'est-à-dire la dignité, la vie et les facultés uniques de chaque individu. Tout ce que la loi positive (créée par l’État) est censée protéger, et non pas attaquer continuellement, comme elle le fait. Historiquement, pour les libéraux français comme pour les économistes autrichiens, l’intérêt général réside dans toutes les institutions spontanées que les individus ont mises en place eux-mêmes au fil des générations. Toute volonté du Législateur de déconstruire et de reconstruire celles-ci, au nom d'un "nouvel intérêt général collectif", constitue ainsi une attaque contre le véritable intérêt général issu de l'action humaine. C'est bien entendu le cas avec la monnaie, la première des institutions à avoir été dévoyée, car le monopole sur la monnaie est certainement le pouvoir le plus important qu'un groupe d'individus peut exercer sur la multitude.
Pour Friedrich Hayek, le bien public consiste simplement à ce que le gouvernement facilite, par la protection des droits naturels, la libre planification que chaque individu souhaite faire de sa propre vie.
"Dans une société libre, le bien commun consiste principalement en la facilitation de la poursuite d'objectifs individuels inconnus."
Le plus important des biens publics requérant le gouvernement n'est donc pas la satisfaction directe de besoins particuliers, mais la réalisation de conditions dans lesquelles les individus favorables de satisfaire autant des chances leurs besoins actuellement." - Law, Legislation and Liberty - Friedrich Hayek (1976)
Concernant le système bancaire à banque centrale, l'histoire montre qu'il n'a cessé d'empiéter sur l’intérêt général, c’est-à-dire sur la propriété, la liberté individuelle et l’individualité, en centralisant, dévaluant et politisant sans cesse la monnaie au fil des années. Aujourd'hui, les résultats de ces politiques empêchent la monnaie de remplir convenablement son rôle de reflet de la rareté relative des biens (mesure de la valeur), d'intermédiaire d'échange et de réserve de valeur. En somme, la monnaie fiduciaire actuelle, issue du monopole de l'État, ne répond plus aux grandes propriétés aristotéliciennes de la monnaie.
Et si le rôle des banques centrales était précisément de détruire ce "bien public" qu’est censée être la monnaie, en l’utilisant comme outil de spoliation légale via l’inflation monétaire, comme responsable de l’instabilité économique via la manipulation des taux d’intérêt de marché, et comme une arme contre les libertés individuelles via la croissance continue de l’emprise du gouvernement sur la vie des individus ? Dans ce contexte, la promesse d'une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) peut être considérée comme la forme aboutie de cette attaque coordonnée contre le véritable bien public.
Les monnaies privées et la peur d’une libre concurrence des monnaies
"L'argent n'est pas seulement un moyen d'échange ; c'est aussi une mesure de valeur et une réserve de valeur. La liberté de choisir sa propre monnaie est essentielle à la préservation de la liberté individuelle." – Friedrich Hayek
Contrairement à ce que semble dire Christine Lagarde, un système monétaire de "monnaies privées" serait au contraire la meilleure manière de promouvoir et de défendre la notion de "bien public" et d'intérêt général. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'en laissant le choix explicite de leur monnaie aux individus, ceux-ci choisiraient naturellement la meilleure forme de monnaie que le marché peut leur offrir : une monnaie rare, reflétant la rareté du monde, neutre, incensurable et certaine. Une monnaie dans laquelle nous pouvons stocker notre énergie et notre temps pour en différer et en diffuser l'usage au maximum. Idéalement, cela suppose également une monnaie en dehors des mains corruptibles et faillibles des hommes.
C'est ce que défendent les économistes autrichiens, comme Hayek dans son livre "La Dénationalisation de la monnaie". Selon lui, l'émission de monnaies privées et la libre concurrence entre monnaies permettraient d'aboutir à une monnaie de meilleure qualité, car soumise aux mécanismes spontanés de l'adoption. Ce mécanisme théorise la convergence naturelle des préférences individuelles vers un seul et même intermédiaire d'échange. Dans cette logique, les individus qui peuvent choisir librement leur monnaie favoriseront naturellement celle qui conserve le mieux sa valeur, qui est la plus fiable pour le calcul économique, et qui est la moins manipulable et falsifiable par l'homme.
Dans ce contexte de combat à armes égales, où la somme des intérêts individuels deviendrait de facto l'intérêt général, l'euro; comme toute autre monnaie fiat, n'a aucune chance.