Bitcoin is Venice : En lutte avec la vérité, Bitcoin et le MMA.
Cet article est une traduction d’une section du livre "Bitcoin is Venise", écrit par Allen Farrington et Sacha Mayers.
Commençons par un exercice de pensée : l’histoire du Bitcoin ressemble à l’histoire des arts martiaux mixtes (MMA).
Considérons que les prix émergent de l’action et que le véritable prix vient de l’expérimentation. Le prix n’est pas dicté. On le découvre tout le temps. Chaque transaction diffuse de la connaissance, faisant progresser le prix vers un meilleur consensus, mais le consensus lui-même est une cible sans cesse en mouvement.
Le MMA a connu de nombreuses itérations depuis ses racines dans des arts comme le judo jusqu'à la forme que nous connaissons aujourd'hui, et il continue de suivre ce processus à travers l'expérience naturelle que représente chaque combat individuel.
Le pouvoir du prix vient de son processus de découverte dynamique sous-jacent à son émergence, et non d’un consensus éphémère d’un moment précis. Le prix n'est jamais bon, mais les prix sont aussi justes qu'on peut l'espérer à ce moment-là. Les tentatives visant à contraindre les prix sans pouvoir changer la réalité qu’ils communiquent sont donc vouées à l’échec. Et pourtant, nous ne semblons pas capables d’accepter le véritable prix chaque fois que celui-ci nous gêne. Pour garantir qu’un consensus puisse parvenir à des vérités sociales valables, nous avons besoin de systèmes ou d’institutions qui résistent aux tentatives de coercition et qui exploitent la découverte décentralisée.
Les arts martiaux constituent une étude de cas pertinente et une allégorie encourageante pour tout ce qui suit. Il y a quelques décennies, ils étaient sous l’emprise d’une coercition insensée. Aujourd’hui, ils prospèrent dans un marché libre, d’idées et d’expérimentation.
Au début était le combat
“C'est fou quand on pense à l'histoire des arts martiaux... Depuis la nuit des temps, les gens ont essayé de trouver de meilleures façons de casser la gueule à d’autres gens. Depuis qu’ils ont compris le langage et comment transmettre des connaissances, ils ont élaboré plusieurs techniques. Et ce n’est qu’à partir de 1993 que nous avons vraiment su ce qui fonctionnait.”
– Joe Rogan, “The Joe Rogan Experience MMA Show #98 avec Luke Thomas”
La lutte est probablement le sport le plus ancien au monde. Les premières preuves de son existence sont les peintures rupestres en France vieilles de plus de 15 000 ans. Nous avons également découvert que la plupart des prises pratiquées aujourd'hui étaient connues dans l'Antiquité. La boxe est un peu plus jeune, représentée dès le troisième millénaire avant JC dans des bas-reliefs sumérien. On pourrait donc pardonner au lecteur de croire qu’il n’y a pas grand-chose à apprendre sur l’art du combat. Et pourtant, le monde moderne n’a appris quelles techniques de combat étaient véritablement efficaces qu’au cours de ces 30 dernières années. Peu de sports ont autant évolué au cours des dernières décennies, et encore moins ceux faisant remonter leur origine à la préhistoire.
Comme Joe Rogan y fait allusion, 1993 a marqué la naissance de l'Ultimate Fighting Championship (UFC). L'UFC a donné naissance à un marché libre du combat appelé arts martiaux mixtes, ou MMA. Auparavant, le charme et l’autorité protégeaient une grande partie des arts martiaux de tout examen minutieux. La concurrence était limitée et la véritable supériorité d’un des styles de combat ne pouvait être définitivement établie. L'UFC et sa célèbre arène de combat, l'octogone, ont créé un environnement dans lequel des propositions concurrentes pouvaient être systématiquement testées les unes contre les autres. Les faux semblants n’avaient plus aucun endroit où se cacher, la vérité pouvait enfin avoir une chance de se battre.
L’évolution récente des arts martiaux constitue une étude de cas unique pour comprendre la manière dont les idées sont créées, testées et diffusées. Au lieu de discuter d’un hypothétique combat de judo contre karaté avec vos amis après un verre de trop, l’UFC allait organiser l’expérience afin que tous puissent l’observer. Au lieu de juger un art martial en fonction de son esthétique “cool” dans un film, celui-ci devra dorénavant prouver son efficacité contre un adversaire compétent, motivé et résistant. La déférence envers un sensei ne suffirait plus. Un simple décret n’aurait aucune valeur. Les traditions seraient remises en question et les écoles humiliées. D’autres émergeraient de coins insoupçonnés du monde. En ce sens, on peut dire qu’après 1993, les combats ont cessé d’être théoriques. Ils sont devenus pratiques.
Nous évaluerons l'évolution des combats à l'aide de trois paramètres : le décor de cinéma, le dojo et l'octogone. Nous relierons vaguement chacun d’entre eux aux trois modes de persuasion grecs anciens : le pathos ou l'émotion, l’ethos ou l’autorité et le logos ou la raison; et trois manières différentes d'apprendre : l'inspiration, la routine et la praxis (pratique). Nous verrons comment des idées inefficaces se sont propagées et comment il est éventuellement possible de les combattre : idéalement avec un coup de pied en pleine gueule. C'est de cette manière que l'UFC a déchaîné les forces concurrentielles du libre marché sur les arts martiaux. C’est, par extension, une allégorie du pouvoir de la concurrence pour encourager la recherche et la découverte de la vérité.
Le décor de cinéma, ou l’appel aux émotions et à l’esthétique
“Il est impossible à quelqu’un de mentir s’il pense dire la vérité. Dire des conneries ne nécessite pas une telle conviction.”
– Harry Francfort, “On Bullshit”
À partir des années 1960, Hollywood a été en grande partie responsable de la diffusion des arts martiaux orientaux auprès du public occidental. Bon nombre des plus grands combattants d’aujourd’hui ont été attirés par les arts martiaux grâce à des films tels que “Enter The Dragon” de Bruce Lee ou “Bloodsport” de Jean-Claude Van Damme. L'image romantique d'un combattant talentueux, en recherche de gloire, se débarrassant rapidement d'une douzaine de crétins est plus que suffisante pour inciter la plupart des enfants à rechercher le club de kung-fu le plus proche.
Malheureusement, pour beaucoup, leurs attentes irréalistes n’ont été récompensées que par des désillusions. Hollywood cherche à vendre des tickets de cinéma et non à tester rigoureusement les techniques de combat dans des scénarios de combat réalistes. Les films diffusent des visions et des techniques d'arts martiaux qui résonnent visuellement et émotionnellement auprès de leur public et afin de générer des revenus au box-office.
Les Grecs de l’Antiquité appelaient cette méthode de persuasion le pathos, l’appel à l'émotion. Vous me croyez parce que vous m’aimez bien. Ce que vous apprenez vous le savez (ou vous pensez le savoir) grâce à ce que vous ressentez ; vous le ressentez comme étant vrai. Il s’agit d’une manière résolument esthétique d’acquérir des connaissances. Cela fait plaisir. C'est apaisant. Ses formes sont lisses, symétriques et nettes.
La connaissance obtenue de cette manière peut bien entendu être légitime, mais nous ne pouvons le savoir qu'en y apportant une preuve. Si elle est inductive (ou pratique), par opposition à déductive, une preuve doit être soumise à un test. Peut-être que ces méthodes de combat n’ont jamais été pensées pour être testées, seulement pour être admirées. En fait, il s’agit précisément, dans ces circonstances, d’éviter à tout prix un tel test. C'est le sentiment de la connaissance qui doit être préservé; pas la connaissance en tant que telle.
Peu importe la qualité de ces films – et certains sont vraiment bons - ils mettent la forme avant le fond. Un coup de poing ne parcourt plus la distance la plus courte jusqu'à sa cible. Il doit d’abord faire un détour dramatique. Les combats de rue se terminent rarement au sol. Ils sont parfaitement chorégraphiés à travers les paysages urbains. La rue cesse d’être un terrain de combat interactif pour devenir le décor inerte d’une danse mélodramatique. Si ce n’est pas la danse qui attire, alors c’est le drame scénaristique qui est certainement suffisamment convaincant pour que le public devienne totalement crédule, c’est alors que le virus frappe. Nous acceptons une partie de l’extravagance en raison de sa beauté et nous nous lions émotionnellement avec le héros. Pourtant, bien après la fin du générique et une fois les lumières rallumées, les cinéphiles associeront toujours le karaté à des exploits presque surhumains. La plupart savent que tout cela est exagéré, mais nous continuerons très certainement de croire qu’une ceinture noire de karaté est une personne à craindre.
En y songeant, une école d'arts martiaux pourrait décider de briser les codes pour attirer de nouveaux membres, une pratique inutile jamais enseignée dans une organisation qui se respecte. Sinon, poussé à l’extrême, nous obtenons de faux arts martiaux qui vous apprennent à canaliser l'énergie vitale ou le chi dans vos frappes.
C'est un fantasme total. Les enseignants et les pratiquants de ces idées sont eux-mêmes mitigés quant à la réelle efficacité de ces techniques. Leur évaluation est basée uniquement sur le paraître et le ressenti. On ne peut pas faire plus éloigné que ça des réalités empiriques. La dynamique de ces organisations est semblable à celle d’une secte acceptant l’endoctrinement uniquement pour le sentiment d’appartenance à un groupe qu’il apporte.
Le Dojo, ou l'appel à l'autorité et au savoir codifié
“L'éducation est une chose admirable, mais il est bon de se souvenir de temps en temps que rien de ce qui est digne d'être connu ne peut s'enseigner.”
Vous devez vous incliner avant d'entrer dans le dojo. C'est une tradition. C'est du respect. C'est japonais. C'est une démonstration de déférence envers l'autorité, signalant une volonté d'apprendre du maître. Contrairement aux faux arts martiaux, les étudiants en arts martiaux réels croient en leur professeur et en son expérience en raison de sa réussite et de sa position dans la communauté au sens large. Cela s’apparente à la confiance que nous accordons aux policiers et aux représentants du gouvernement. Nous ne sommes peut-être pas en mesure d’évaluer directement la véracité et le bien-fondé de ces affirmations, mais il va de soi que beaucoup d’autres le font. L’efficacité des idées est toujours évaluée via un intermédiaire.
Le dojo diffuse les idées en faisant appel à l'autorité, ou ethos. Les connaissances que nous obtenons, nous les apprenons par cœur. De même qu'un enfant peut mémoriser ses tables de multiplication en effectuant une sorte d'opération mentale, de même il apprend ses pas de karaté par la répétition d'une opération physique. Les savoirs ont été codifiés et transmis ainsi.
L'un des plus grands professeurs de ce type - ou Sensei —est Kano Jigoro, né en 1860, huit ans avant le Restauration Meiji lorsque le Japon a commencé à s'industrialiser. Cette période marque également l’abolition de la classe des samouraïs. Les trois disciplines principales de cette classe étaient : le combat à l'épée - ou kenjutsu — tir à l'arc — ou kyujutsu - et combat à mains nues - ou Ju-jitsu. À mesure que la classe des samouraïs commençait à disparaître, son héritage disparaissait également. Et c’est à ce moment qu’arrive Jigoro. Bien qu'il ne soit pas un samouraï, Jigoro s'est entraîné aux arts martiaux et est devenu célèbre pour sa sélection méticuleuse des techniques de ju-jitsu qu'il jugeait les plus efficaces. Il a décrit son travail comme "garder ce que je pensais devoir être conservé et rejeter ce que je pensais devoir être rejeté.” Les maîtres anciens recherchaient Jigoro pour partager leurs techniques dans l'espoir qu'elles ne disparaissent pas. Ces maîtres ont accumulé du capital durement gagné sous la forme de connaissances acquises via l’expérimentation. Incapables de préserver, encore moins d’accroître, eux-mêmes cet héritage, les maîtres cherchaient quelqu'un qui pourrait le faire. Ils craignaient que leurs connaissances disparaissent complètement, ne laissant rien derrière eux. Jigoro offrait les moyens d’éviter un tel désastre épistémologique. Il a appelé sa nouvelle école judo, ou la manière douce.
Compte tenu de la tâche à accomplir et de la grande qualité du résultat obtenu, Jigoro semble avoir réalisé des merveilles. Le judo reste l’un des arts martiaux les plus efficaces et constitue une excellente base pour tout nouveau combattant. Mais ses défauts étaient inhérents à la méthode de Jigoro. En choisissant ce qu'il faut garder ou jeter, il a agi en tant qu'autorité. On pourrait dire que sa doctrine agissait comme un serveur informatique, et que tous ceux qui suivirent son enseignement n'étaient que de simples clients. Bien entendu, en tant que serveur unique non exposé aux feedback, la doctrine elle-même présentait une vulnérabilité auto-induite. La structure rigide créée par Jigoro a protégé le judo des critiques extérieures mais aussi des expérimentations internes. Les étudiants s'en remettent à leur sensei et les règles de leur dojo interdisent d'utiliser des techniques d'une autre tradition d’art martial.
Et si je te frappais avant que tu sois assez près pour attraper mon col et me jeter au sol ? Ce n'est pas autorisé. Vous ne pouvez rivaliser qu'avec d'autres praticiens de votre art. En conséquence, l’art perd peu à peu toute compréhension de la réalité brutale des combats et se transforme en un jeu. Ne frappez pas, n’attrapez pas le pantalon, n’utilisez pas de clé de jambes, ne frappez pas les organes génitaux. Ne vérifiez pas si ces techniques fonctionnent.
Les techniques et règles rigides d’une école donnée ont tendance à la conduire à évoluer comme une espèce piégée sur une île. Cette école devient hyper-spécialisée pour son environnement. Mais que se passe-t-il si l’environnement change ? Cette faille dans l’armure proverbiale d’un dojo est alors apparue lors d’un match d’exhibition opposant deux styles. En 1963, le boxeur Milo Savage a affronté le judoka Gene LeBell dans un concours destiné à montrer la supériorité de la boxe américaine.
Les choses ne se sont pas déroulées comme les organisateurs l’espéraient. LeBell a jeté Savage au sol et l'a étouffé jusqu'à ce qu'il perde connaissance. Il s'agissait du premier combat d'arts martiaux mixtes autorisé aux États-Unis. Lorsque deux visions différentes du combat se rencontrent, nous pouvons obtenir des résultats surprenants. Il n’y a en fait aucun moyen d’en être sûr avant de se battre. Il faut essayer, empiriquement. On pourrait dire que cela n’est pas modélisable. Même si l’on pouvait parfaitement mathématiser les capacités des combattants et paramétrer la dynamique du combat, le résultat serait toujours imprévisible. Pourquoi simuler l'univers entier alors que l'univers se simule volontiers lui-même ? Pourquoi ne pas simplement regarder le combat ?
Un autre combat d'exposition marquant s'est produit en 1988, lorsque le kickboxeur Rick Roufus combat le boxeur thaïlandais Changpuek Kiatsongrit. Le combattant thaïlandais a gagné avec une seule technique. Il a donné des coups de pied dans les jambes de Roufus jusqu'à ce qu'il ne puisse plus tenir debout. La technique est courante dans la boxe thaïlandaise mais était rarement utilisée dans le kickboxing américain. Après le combat, le frère de Rick, le Duke Roufus, a déclaré dans une interview :
“J’espère que les gens réalisent que les Thaïlandais, s’ils combattaient selon nos règles, ne gagneraient pas. Et nous n’allons pas combattre avec leurs règles. Nous avons expérimenté ce soir mais nous avons découvert que cela n’en valait pas la peine. Il ne faut pas beaucoup de talent pour donner un coup de pied dans les jambes.”
Duke est finalement devenu l’un des meilleurs entraîneurs de boxe thaïlandaise d’Amérique. Il s'est rendu compte que le kickboxing n'avait pas encore développé de réponse à cette technique simple mais efficace. C’était impossible à prévoir, mais maintenant qu’une expérience avait été menée, la vérité éclatait. Le défi était désormais de systématiser ces apprentissages.
La communauté mondiale des arts martiaux, aussi naissante soit-elle, devait trouver un moyen de tester les techniques à plusieurs reprises en effectuant des tests empiriques plutôt que d’opter pour des comparaisons esthétiques ou des exercices de pensée abstraits. C'est seulement alors que nous pourrons espérer découvrir la vérité.
L'octogone, ou l'appel à la raison et à la connaissance pratique
“Un véritable partenariat entre les personnes sur le terrain qui gèrent de manière holistique et les chercheurs qui soutiennent leurs efforts doit commencer par un respect mutuel. Mais depuis l’époque de Descartes et le début de la science moderne, la société a tellement élevé le statut du chercheur universitaire et tellement abaissé celui du gestionnaire de terrain qu’aujourd’hui, le chercheur parle généralement avec plus d’autorité en matière de gestion que la personne qui gère réellement une exploitation au jour le jour afin de produire de la nourriture. Et cela même si ce sont les agriculteurs et les éleveurs qui ont découvert quelles plantes et quels animaux pouvaient être domestiqués, puis en ont sélectionné des milliers de variétés plusieurs millénaires avant que les scientifiques n’existent.”
– Allan Savoury, “Holistic Management”
“Le Gracie Challenge” était une invitation ouverte aux écoles d'arts martiaux de la vallée de Los Angeles : venez combattre un membre de la famille Gracie. Les pratiquants de kung-fu, de judo et de karaté ont tous relevé le défi dans l'espoir de démontrer la supériorité de leur art. Les images granuleuses, dont la plupart datent du début des années 1990, montrent une histoire cohérente. Les Gracies ont emmené leurs adversaires au sol et les ont soumis avec un étranglement ou une clé articulaire. Les jolis coups de pied et de poing n’étaient pas à la hauteur pour quelqu’un maîtrisant les combats au sol. L’art des Gracies est désormais connu dans le monde entier sous le nom de Jiu-Jitsu brésilien (BJJ). Le BJJ est la pierre angulaire de l’entraînement moderne aux arts martiaux mixtes. Mais au début des années 1990, cette pratique était quasiment inconnue.
L'histoire du Jiu-Jitsu brésilien commence avec un émigrant japonais itinérant nommé Mitsuyo Maeda. Né en 1878, Maeda a étudié le judo auprès de son fondateur, Jigoro. Il a parcouru le monde et aurait remporté plus de 2 000 combats professionnels, dont beaucoup contre des praticiens d'autres arts. Il s'est finalement installé au Brésil où il a enseigné une version du judo mettant fortement l'accent sur les combats au sol. Il l'a appelé Jiu Jitsu. L’un des étudiants de Maeda s’appelait Carlos Gracie. L'art s'est répandu dans la famille et a été pendant un temps connu sous le nom de Gracie Jiu-Jitsu.
Bien que les techniques du BJJ ressemblent à celles du judo, sa culture et sa méthodologie d’entraînement ne le sont pas. Le BJJ encourage l’expérimentation ludique. De nouvelles techniques sont constamment développées et testées par la communauté. En comparaison, le judo possède une liste officielle de techniques qui ne peut être éditée que par un organisme officiel. Alors que le judo fonctionne sur un modèle client/serveur, le BJJ est véritablement un art martial peer-to-peer ; alors que le judo se concentre sur la compétition au sein de sa communauté, le BJJ s'est dès le départ concentré sur la confrontation avec d'autres arts ; alors que le judo semble déterminé à perfectionner un équilibre esthétique, le JJB est un processus dynamique : ne jamais être fixe, toujours chercher à découvrir ses propres défauts et à s'améliorer.
Il faut faire confiance à la véracité du code du judo ; la véracité du code dans le BJJ peut quant à elle être vérifiée. La mesure du succès du BJJ a toujours été l’efficacité. Il ne plie pas face à l’autorité et ne cherche pas à convaincre par l’esthétique. Il fait appel à la raison, ou logos, et il confère des connaissances sous la forme de ce que James C. Scott appelle mētis, dans son magistral “Seeing Like A State”, auquel nous faisons référence à plusieurs reprises. À propos de cette forme de connaissance, Scott écrit :
“Mētis s'applique particulièrement à des situations globalement similaires mais jamais exactement identiques, nécessitant une adaptation rapide et maîtrisée qui devient presque une seconde nature pour le praticien. Les compétences du mētis peuvent bien impliquer des règles générales, mais ces règles sont en grande partie acquises par la pratique (souvent dans le cadre d’un apprentissage formel) et par un sens ou un talent développé pour la stratégie. Le mētis résiste à la simplification des principes déductifs qui peuvent être transmis avec succès par l'apprentissage des livres, parce que les environnements dans lesquels il s'exerce sont trop complexes et non reproductibles pour que les procédures formelles de prise de décision rationnelle soient applicables. D’une certaine manière, le mētis se situe dans ce vaste espace entre le domaine du génie, auquel aucune formule ne peut s’appliquer, et le domaine de la connaissance codifiée, qui peut être apprise par cœur.”
Le Mētis — cet ensemble de connaissances pratiques durement acquises, découvertes et évolutives — est nécessaire pour agir, et là où la nécessité de l’action humaine existe, la connaissance qu’elle permet à l’acteur de générer se produit de manière utile, pratiquement réflexe. Scott écrit :
“Nous pourrions raisonnablement considérer les connaissances locales et situées comme des connaissances partisanes par opposition à des connaissances génériques. Autrement dit, le détenteur de ces connaissances éprouve généralement un intérêt passionné pour un résultat particulier. Un assureur de transports maritimes commerciaux pour une grande entreprise maritime hautement capitalisée peut se permettre de s’appuyer sur des distributions de probabilité pour les accidents. Mais pour un marin ou un capitaine qui espère faire un voyage en toute sécurité, c'est le résultat d'un seul événement, d'un seul voyage, qui compte. Mētis est la capacité et l’expérience nécessaires pour influencer le résultat – pour améliorer les chances – dans un cas particulier.”
Le combattant de MMA ne veut pas gagner une victoire morale ou esthétique, et il ne veut pas non plus gagner une lutte hypothétique ou partielle; il veut gagner son combat. Il s'intéresse passionnément au résultat de sa propre victoire et à souhaite éviter la douleur physique qui viendrait avec sa propre défaite. Il est profondément motivé à apprendre sur le moment ; traiter chaque action et réaction comme une expérience susceptible d’améliorer ses performances. Il ne veut pas simplement observer le résultat : il veut l’influencer.
De retour à Los Angeles, Rorion Gracie cherchait à toucher un public plus large. Les victoires de la famille contre les écoles d’arts martiaux locales ont étendu sa réputation à travers la vallée, mais pas au-delà. En 1993, Rorion crée l'Ultimate Fighting Championship. Il aurait "pas de limite de temps, pas de règles" tout comme les défis. Des combattants de tous styles seraient invités. La famille Gracie a enrôlé Royce Gracie non pas parce qu'il était le meilleur de la famille, mais parce que sa silhouette élancée rendrait sa victoire encore plus marquante. Royce a remporté le premier UFC, battant des adversaires plus grands et plus forts avec des techniques que la plupart n'avaient jamais vues auparavant. L’efficacité du BJJ ne pouvait plus être niée.
Au cours des 28 années qui ont suivi, beaucoup de changements ont eu lieu – dont presque aucun n’aurait pu être prédit, et certainement pas modélisé à partir de modèles mathématiques de combat. Des arts entiers comme l’aïkido se sont révélés inefficaces et des arts tape-à-l’œil comme le kung-fu ou le karaté ont été surpassés par la lutte ou la boxe, des techniques de combat pourtant plus prosaïques. Des arts pour la plupart inconnus il y a quelques décennies, comme le Jiu-Jitsu brésilien ou le Sambo russe, tous deux issus du judo, sont désormais considérés parmi les plus efficaces. Aujourd’hui encore, de nouvelles techniques font leur apparition comme le coup de pied au mollet, qui vise à paralyser la jambe de l’adversaire en touchant un nerf derrière le genou.
Chaque fois que deux combattants entrent dans l’octogone, une expérience s’ensuit. L’efficacité des techniques de tous les arts est testée empiriquement. Le succès signifie la victoire. Il ne s’agit pas d’un concours de popularité, et les figures d’autorité ne décident pas non plus de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Le tapis ne ment pas, comme le dit le dicton du BJJ. Essayez-le et voyez par vous même. C’est le seul test qui compte, et seule la vérité éclatera.
Viser la finition ou le tap out
"Arrête d'essayer de me frapper et frappe-moi !"
–Laurence Fishburne dans le rôle de Morpheus, "The Matrix"
Les règles de l’UFC ont considérablement augmenté les coûts et réduit les revenus des faux arts martiaux. Les artistes du bullshit peuvent désormais être dénoncés et les “arts” qu’ils prônent se sont révélés sans équivoque inefficaces. Il ne suffit pas qu’un art se cache derrière un vernis de respectabilité. L’autorité doit d’abord faire ses preuves au combat, de peur d’être ignorée ou même ridiculisée.
En introduisant un espace où les idées de combat pouvaient être testées empiriquement contre un adversaire créatif, motivé et résistant, l'UFC a annoncé un âge d'or de la découverte. Le résultat appelé “arts martiaux mixtes” est en constante évolution, jamais statique. Ce n'est pas une destination, mais un processus. Il ne s’agit pas d’une liste de techniques mais d’un état d’esprit permettant de tester des idées et d’adopter celles qui s’avèrent efficaces au combat. Il a fallu prendre l’idée de Jigoro de “garder ce qui, selon moi, devait être conservé et rejeter ce qui, selon moi, devait être rejeté” et l’étendre au-delà d’un seul homme, à une communauté d’acteurs déterminés.
L'UFC a mis en place de nouvelles incitations pour découvrir, préserver et protéger la vérité de manière combative mais respectueuse. Même si ses combats sont violents, il arrive à convaincre par des moyens non violents. Il fait appel à la raison. Malheureusement, jusqu’à récemment dans l’histoire de l’humanité, les moyens non coercitifs pour convaincre les autres étaient nécessairement sociaux. Et à ce titre, ils ont souffert du “paradoxe de la tolérance” où la tolérance de l’intolérance conduit à la domination de la dernière. Dans une société de pacifistes, le seul dissident devient le roi.
La violence n’a jamais été empêchée que par l’un des trois moyens suivants : la bonté humaine inhérente, le bénéfice issu de la coopération ou des menaces et violence encore plus grandes et terrifiantes. L'appréciation de ces trois éléments constitue précisément la raison d'être de l'apprentissage des arts martiaux et de l'autodéfense en général : que les bons et les courageux puissent non seulement se défendre eux-mêmes, mais aussi coopérer avec ceux qui ne peuvent pas se défendre, en menaçant les malveillants de coûts plus élevés que ce à quoi ils s’attendent en espérant des gains illégitimes.
Tout cela peut paraître intellectuellement impressionnant à première vue, mais cela ne fait en réalité rien d’autre que souligner que la civilisation est supérieure à l’état de nature. Le fait que l’encouragement du capital et de la moralité (c’est-à-dire la “civilisation”) aient été historiquement les meilleures et dernières défenses contre la violence a donné aux immoraux une incitation claire : stigmatiser et ridiculiser la moralité, diaboliser la formation honnête du capital ou infiltrer les institutions destinées à soutenir l’une ou l’autre, en espérant que leur violence puisse générer des gains plus élevés.
Mais maintenant, cette équation comporte une variable nouvelle, et teintée d’ironie historique : après des millénaires d’avancées technologiques cumulées nous emmenant de l’épée et du bouclier à l’arc long, en passant par le trébuchet, l’arme de poing, le char, le dreadnought et l’avion de combat. Grâce à la bombe atomique, l’humanité a découvert une technologie qui ne fait que décourager la violence, et qui n’a aucune autre utilité. En bref : Bitcoin résout ce problème.
Article original en anglais: https://www.nasdaq.com/articles/bitcoin-is-venice:-wrestling-with-the-truth